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24 novembre 2018 6 24 /11 /novembre /2018 18:53

En 2010, j'ai participé à l’appel à texte de l’association Les Noires de Pau, qui organise tous les ans un concours de nouvelles noires et/ou policières. Je n'ai pas gagné - ça se saurait - mais j'ai retrouvé cette nouvelle il y a peu et je l'aime bien, donc...

Qui dit « concours » dit « règles », et je pense qu’il est intéressant d’énoncer les contraintes de l’épreuve :

  • nouvelle du genre noir ou policier
  • maximum 20 000 caractères, espaces compris
  • l’action doit se passer à Pau ou dans les environs
  • thème imposé cette année-là : la Gourmandise

  Le lieutenant Frédéric Martin arriva en trombe en bas du vieil immeuble situé rue Louis Barthou à Pau. Il se gara sur le trottoir et se dirigea avec une excitation à peine dissimulée vers son supérieur, le commandant Jean Cazenave, en pleine discussion avec un officier devant la porte d’entrée.

- Ah, lança le Commandant en le voyant arriver, te voilà enfin, Martin. Il va falloir apprendre à te secouer les miches quand on t’appelle.

- Euh, oui, chef.

- Bon, on t’a fait le topo au téléphone, alors je te laisse monter voir. Je te préviens, c’est pas joli joli. Pour ton premier cas d’homicide, tu vas être servi.

Cette remarque ne fit qu’accroître l’excitation de Martin, qui monta les escaliers quatre à quatre jusqu’au deuxième étage.

La porte de l’appartement en question était grande ouverte, et gardée par deux officiers de la police nationale, que Martin salua rapidement avant de rentrer. La vue de la scène du crime lui provoqua un haut-le-cœur qu’il eut bien du mal à refreiner.

Dans le salon exigu, un jeune homme d’une trentaine d’années gisait sur le dos au milieu d’une mare de sang, les yeux grands ouverts vers le plafond. L’expression de son visage trahissait la détresse la plus totale. Une plaie béante courait le long de son cou, dévoilant ses muscles et des dizaines de petites veines, toutes pendantes à l’extérieur.

Sur le canapé, le cadavre d’une jeune femme d’environ le même âge, recroquevillé en position fœtale, semblait encore continuer à déverser tout son sang sur le tissu miteux du sofa. Les mains de la jeune femme maintenaient encore fermement dans son abdomen le couteau de cuisine avec lequel elle s’était donné la mort, après avoir sauvagement égorgé son compagnon.

- Crime passionnel classique.

Martin sursauta, tiré de sa torpeur par une de ses collègues de la police scientifique. Elle continua son explication tout en gardant les yeux rivés sur les deux corps sans vie.

- Juliette Capdevielle a égorgé son petit ami Gabriel Marcos avant de retourner le couteau contre elle. Les voisins ont entendu des cris vers vingt heures. Ca a duré un quart d’heure, et puis plus rien. C’est le voisin de palier qui a prévenu les secours. Selon lui, ils vivaient ensemble depuis six mois, et ils n’étaient pas du genre à faire des esclandres. Un couple sans histoire… Comme quoi on ne peut jamais vraiment savoir ce qui se passe chez les gens.

- Ni dans leur tête… renchérit Martin.

- C’est moche, se contenta de répliquer la jeune femme avant de repartir vaquer à ses occupations.

Mais qu’est-ce qui pouvait bien pousser quelqu’un à passer à l’acte si violemment ?

Martin se dirigea vers son commandant, qui venait de remonter.

- On sait si cette Juliette Capdevielle avait des antécédents psychiatriques ? demanda-t-il à son supérieur.

- C’est justement ton job de le découvrir, Martin. On ne sait rien d’elle mis à part son identité, grâce aux papiers dans son sac à mains. Maintenant, à toi de jouer !

Sans sourciller, Martin se mit alors en quête d’indices.

 

« Le coup de foudre »… C’est ainsi qu’on pourrait qualifier ma rencontre avec Gabriel. Je ne sais pas ce qui m’a attiré en premier chez lui : sa carrure imposante, ses yeux vert clair si profonds et si magnifiques, ou sa manière si assurée de m’aborder. C’était mon premier jour à l’usine du chocolatier palois Cazayous, célèbre concepteur des Grelots du Roy Henri, et j’étais pétrifiée. Gabriel est arrivé vers moi dans sa tenue de pâtissier, et a instantanément tout fait pour me mettre à l’aise, allant même jusqu’à me caresser la main de ses doigts tendres et dégageant une délicieuse odeur de pâte d’amande et de chocolat. J’ai de suite su que c’était lui l’homme de ma vie. Plus les jours passaient, plus il devenait entreprenant, n’hésitant pas à me prendre dans ses bras pour un oui ou pour un non, me disant que j’étais belle, ses beaux yeux plantés dans les miens. Souvent, alors que j’étais profondément concentrée sur la préparation d’une boîte de chocolats, je sentais soudain ses mains chaudes sur ma nuque, et tout mon être se mettait à frémir de plaisir. Jamais je ne m’étais autant sentie désirée par un homme, et jamais je n’avais autant eu envie de toucher et de goûter à chaque millimètre carré de la peau d’une personne. Je pensais à lui sans arrêt. Mais ma timidité maladive m’empêchait de faire le premier pas, j’étais juste sans armes devant une telle concentration de beauté et de charme. Même coiffé de sa charlotte blanche, il était mille fois plus appétissant que toutes les confiseries qu’il fabriquait avec tant de cœur chaque jour.

Un soir, sur le parking de l’usine, alors que je me rendais à ma voiture, déçue de ne pas l’avoir aperçu pour lui dire au revoir, je l’entendis m’appeler, et le vis courir vers moi.

- Attends, Juliette !

- Oui ?

Mon cœur battait la chamade. Il se planta devant moi, et me dit sur un ton hésitant, et tout en caressant délicatement ma joue :

- Tu me plais beaucoup, Juliette. Alors, je me lance : je vais faire ce dont j’ai envie depuis la première fois que je t’ai vue.

Je le vis lentement approcher son visage du mien, pour déposer sur mes lèvres fébriles un long, langoureux et délicieux baiser au goût de chocolat chaud.

 

Frédéric Martin voulait comprendre comment cette jeune femme avait bien pu cumuler tant de haine et de désespoir, au point d’en arriver à une telle boucherie. Plusieurs éléments, tels que les vêtements féminins dans la penderie de la chambre ou les deux brosses à dents dans la salle de bains, prouvaient clairement que Gabriel vivait en couple, bien que seul son nom figurât sur la boîte aux lettres et sur les quittances de loyer.

- Lieutenant Martin, appela soudain un officier également en charge de recueillir des indices, venez voir ça.

Martin rejoignit son collègue, alors assis à la table de la cuisine devant l’ordinateur portable de la victime.

- Quelque chose cloche, renchérit l’officier à l’arrivée de Martin. Regardez ces photos.

Martin fit défiler plusieurs albums, tous très récents, et n’en crut pas ses yeux.

- Cette fille qui est partout en photo avec la victime, ce n’est pas Juliette Capdevielle… Elle ne figure d’ailleurs sur aucune photo.

Ni une ni deux, Martin saisit l’ordinateur et se rendit sur le palier, où attendait toujours le vieux voisin de Gabriel, emmitouflé dans une robe de chambre râpée.

- Monsieur, commença Martin, je suis le lieutenant en charge de l’enquête. Me confirmez-vous que la jeune femme sur cette photo est bien celle qui vivait chez Monsieur Marcos ?

- Oui, c’est bien Sandra, répondit le vieil homme sans la moindre hésitation. Elle était très gentille avec moi, tout comme Gabriel. Vraiment, ces jeunes étaient des anges. Je ne comprends pas…

Ses yeux s’embrumèrent alors.

- Vous ne connaissez pas le nom de famille de cette Sandra ?

- Non, Lieutenant.

- Merci, Monsieur.

Martin repartit dans l’appartement et fit une annonce générale.

- S’il-vous-plaît, je vous demande de m’écouter un instant : Juliette Capdevielle n’est pas la fille qui vivait ici avec la victime. Il doit forcément y avoir des papiers au nom de la concubine de Marcos quelque part dans l’appartement. Tout ce qu’on sait d’elle, c’est qu’elle s’appelle Sandra. Il faut trouver son identité et, surtout, où elle peut bien se trouver à l’heure actuelle.

Martin se mit alors en quête du téléphone portable de Gabriel, qu’un officier avait soigneusement rangé dans un sac en plastique. Il enfila des gants en caoutchouc et sortit l’appareil de son scellé. Il regarda directement les derniers appels que Gabriel avait passés : le tout dernier avait bien été pour une certaine Sandra, mais il n’avait apparemment pas abouti. Martin appela à son tour ce numéro, et ne fut pas surpris de constater que personne ne répondit. Il appela alors le commissariat, et déclencha une procédure afin de localiser le téléphone.

 

Mon histoire avec Gabriel était paradisiaque. J’étais tellement heureuse de travailler avec lui, et d’avoir ainsi l’opportunité de passer toutes mes journées en sa compagnie. Il était tellement gentil avec moi, et tellement sensuel. Parfois, le seul contact de sa peau contre la mienne provoquait en moi un frisson de plaisir d’une intensité presque intolérable. Je l’aimais tellement. Le soir, je l’attendais dans ma voiture : il m’y rejoignais, et je vivais alors le plus beau moment de ma journée.

Un soir, il mit plus de temps que d’habitude à me rejoindre. Je décidai donc de partir à la recherche de son véhicule. C’est alors que je le vis monter dans la voiture d’une fille qui ne travaillait pas à l’usine. Il déposa un rapide baiser sur sa bouche, et ils partirent ensemble. Refusant de comprendre, j’entrepris de les suivre. La voiture se gara en bas de chez lui. Ils descendirent du véhicule, et entrèrent dans le bâtiment. Je passai la nuit à guetter le départ de cette fille, en vain. Je les vis redescendre ensemble le lendemain matin, et elle le ramena au travail.

Terrassée, j’évitai Gabriel toute la journée. Comment avait-il pu me faire ça ? Comment avait-il pu me tromper alors que notre histoire était si récente, et si intense ? Même schéma le soir suivant : il repartit avec la fille, et ils passèrent la nuit ensemble. Le lendemain matin, je décidai alors de la suivre une fois qu’elle l’eut déposé à l’usine. Elle se gara devant une école primaire à Lescar, et y passa la journée. Elle sortit vers dix-sept heures. Je me dirigeai alors vers elle, l’air complètement affolé.

- Excusez-moi, lui lançai-je, vous êtes bien l’amie de Gabriel Marcos ?

- Oui, me répondit la belle et élégante jeune femme d’un air soucieux, je suis sa petite amie. Que se passe-t-il ?

- Il lui est arrivé quelque chose au travail. Il a demandé qu’on vienne vous chercher. Il est en route vers l’hôpital.

- Quoi ? J’y pars de suite.

- Non, non, venez avec moi, c’est plus prudent. Vous êtes trop inquiète pour conduire. C’est lui qui m’a demandé de venir vous chercher.

Elle me suivit sans protester. Une fois dans la voiture, je décidai de me présenter.

- Je suis Juliette, je travaille avec Gabriel. Je suppose qu’il a du vous parler de moi.

- Euh, non, je ne crois pas, répondit-elle, le regard dans le vague. Est-ce que c’est grave ?

- Eh bien, nous sommes tout de même assez proches, alors j’aurais pensé qu’il aurait au moins mentionné mon nom…

- Non, je veux parler de son état. Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Ah, oui. Euh, il s’est broyé la main dans une machine à malaxer la pâte. Il risque la gangrène, et l’amputation.

Elle mit alors sa main à sa bouche et commença à pleurer.

- Ca fait longtemps que vous êtes ensemble ? demandai-je, l’air de rien.

- On s’est rencontré il y a un an. Je vis avec lui depuis environ six mois. On a plein de projets…

Sa phrase se perdit dans un flot de larmes.

 

Grâce à son numéro de téléphone, la centrale ne mit pas longtemps à trouver l’identité de la compagne de Gabriel : elle s’appelait Sandra Cassou, elle avait trente ans et était institutrice à Lescar. La localisation de son téléphone portable ne fut pas beaucoup plus longue à effectuer. Martin quitta l’appartement ventre à terre, en compagnie du commandant et de deux autres voitures de police, et fonça vers la petite route perdue sur laquelle se trouvait le mobile de Sandra Cassou d’après ses informations. Martin avait le mauvais pressentiment qu’il ne trouverait malheureusement pas que le téléphone à l’emplacement indiqué. Il imaginait mal comment une jeune femme aurait pu perdre son téléphone sur une route déserte par un soir d’hiver.

 

- Mais, qu’est-ce que vous faites ? demanda-t-elle en me voyant me garer sur le bas côté d’une route passant à travers champ et menant à une petite forêt. La nuit hivernale avait déjà tout recouvert, et aucune voiture n’empruntait ce petit chemin à cette heure-ci.

Je coupai le contact, et le regardai fixement, de façon très neutre.

- Mais enfin, continuez ! Il m’attend à l’hôpital !

- Quel est votre prénom ? C’est étrange, mais il ne m’a jamais parlé de vous.

- C’est Sandra, mais qu’est-ce que…

- Sandra… C’est comme ça qu’il t’appelle pendant qu’il te saute, ou est-ce que tu as un petit surnom spécial pour ces moments-là ?

- Quoi ? Mais vous êtes malade !

Elle sortit de la voiture et se mit à marcher d’un pas rapide vers la route principale, qu’on pouvait deviner au loin. Je quittai le véhicule à mon tour et la suivis dans l’obscurité.

- C’est moi qu’il aime, lui criai-je, laissant enfin ma rage exploser. Gabriel est à moi, espèce de salope !

J’arrivai alors derrière elle, et passai autour de son cou le lacet de ma chaussure, que j’avais défait avant de sortir de la voiture. Elle se débattit, mais elle était très mince, très frêle. J’exultais de l’entendre agoniser. J’aurais aimé me tenir devant elle, et pouvoir ainsi voir son visage gonfler et devenir bleu, ses yeux verts sortir de leur orbite, sa bouche s’ouvrir dans une dernière tentative de survie.

- Gabriel est à moi, glissai-je alors dans son oreille, et je ne partage pas.

Ce furent les derniers mots qu’elle entendit avant de s’affaisser et de s’étaler par terre, au bord du chemin terreux, ses beaux yeux fixant les étoiles avec effroi.

Je tirai son corps inerte jusqu’à la forêt toute proche, et repris la route. Désormais, plus rien ne pourrait nous séparer, Gabriel et moi. Je me garai en bas de chez lui, profitai d’un habitant qui entrait pour me faufiler à l’intérieur, et sonnai directement à sa porte. Il ouvrit instantanément. Il parut déçu, puis décontenancé de me voir.

- Juliette ? Mais qu’est-ce que tu fais là ? Comment tu as eu mon adresse ?

- Tu n’as pas l’air très content de me voir…

- C’est-à-dire que tu tombes assez mal, là…

- Je peux entrer ? demandai-je, tout en le poussant afin de pénétrer dans l’appartement.

Son chez-lui était à son image : beau, chaleureux, coloré, et ça sentait bon la pâtisserie.

- Mais, Juliette, qu’est-ce que tu fais ?

- Tu as l’air inquiet, remarquai-je, ignorant sa question.

- Ma copine est injoignable. Elle devait venir me chercher à l’usine ce soir, et elle n’est pas venue. J’ai appelé son boulot et ils m’ont pourtant dit qu’elle est bien allée travailler aujourd’hui. Sa voiture est toujours garée devant l’école. Je me fais beaucoup de souci. Alors, tu vois, je ne sais pas pourquoi tu es passée, mais c’est pas trop le moment…

Il était blanc comme un linge. Je me réjouissais d’avance d’être celle qui allait lui remonter le moral ! Mais, avant, il fallait qu’on s’explique.

- Tu ne m’as jamais dit que tu avais quelqu’un dans ta vie… lui reprochai-je.

- Euh, en fait, je n’en ai jamais vraiment vu l’intérêt. Et puis, c’est quoi, toutes ces questions ? Qu’est-ce que tu veux, à la fin ?

- « Jamais vu l’intérêt » ?! Et nous, dans tout ça ? Tu as pensé au mal que tu me ferais ?

- « Nous » ? Mais, Juliette, tu délires, ou quoi ?

- Et ce baiser sur le parking l’autre soir, c’est du délire ? Et nos retrouvailles dans ma voiture après le boulot ? Hein ?

Il resta deux secondes sans voix. Comme s’il avait déjà oublié tout ce que nous avions vécu…

- Mais quel baiser ? Quelles retrouvailles ? Je t’ai peut-être un peu dragouillé comme ça, parce que je te trouvais mignonne, mais je n’ai jamais eu l’intention d’aller plus loin !

La rage monta en moi comme la lave d’un volcan en éruption.

- Non, tu mens, Gabriel ! Tu ne peux pas dire ça, tu ne peux pas renier cet amour qui nous lie !

Il lissa compulsivement ses cheveux en arrière, tout en faisant les cent pas dans le salon.

- C’est pas possible ! Sandra a disparu, et voilà qu’une tarée s’incruste chez moi pour me faire sa déclaration à la con !

Choquée, je pleurais à chaudes larmes. Comment pouvait-il me trahir ainsi ?

- Gabriel, je t’aime… sanglotai-je.

Il me saisit alors violemment par les épaules, planta ses yeux, si magnifiques mais si enragés, dans les miens et me cracha au visage :

- Bon écoute, Juliette, je ne sais pas où tu as été chercher qu’il y avait quoi que ce soit entre nous, mais tu vas te calmer de suite ! Je suis désolé si, par mes gestes, je t’ai laissée penser que j’éprouvais des sentiments pour toi, mais on s’est apparemment mal compris. Maintenant, tu vas être gentille et foutre le camp de chez moi, parce que ma copine a disparu, et que j’ai d’autres chats à fouetter ! Compris ? Alors, maintenant, tu dégages !

Et il me poussa brutalement vers la sortie. Je me mis alors à le haïr avec une force indescriptible. Je voulais qu’il souffre autant qu’il venait de me faire souffrir. Je l’empêchai de me jeter dehors en m’accrochant de toutes mes forces à l’embrasure de la porte.

- Je peux te dire que tu n’es pas près de la revoir, ta grognasse ! Si tu es croyant, je te conseille de faire une prière pour elle !

Il cessa alors de me repousser désespérément vers le pas de sa porte, et me demanda, l’angoisse transpirant par chaque pore de sa peau.

- Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ?

Triomphante, j’entrai à nouveau dans l’appartement, et refermai la porte derrière moi.

- Eh oui, Sandra… Elle est tellement idiote ! Elle est montée dans ma voiture sans se poser de question !

- Où est-elle ? OÚ EST-ELLE ?

Il pleurait frénétiquement.

- Tu ne peux plus rien pour elle, maintenant. Mais, la bonne nouvelle, c’est que tu m’as, moi !

 Je m’approchai alors doucement de lui, et tentai de coller ma bouche sur la sienne. Il me rejeta tellement fort que je heurtai violemment le buffet derrière moi, et finis en boule sur le sol.

- Non ! Non ! hurlait-il, en pleurs. Dites-moi que c’est un cauchemar, et que je vais me réveiller !

Il s’écroula à son tour, et se blottit contre le mur. J’en profitai pour me rendre à la cuisine, afin d’attraper de quoi lui donner une bonne leçon. Je revins vers lui, brandissant le gros couteau dans sa direction. Lorsqu’il me vit arriver, il se leva d’un bond et se réfugia à l’autre bout du petit salon.

- Juliette, arrête ! Juliette, s’il-te-plaît, ne fais pas ça !

- A quoi te sert la vie, puisque tu as perdu celle que tu aimes ? Si je ne peux pas t’avoir, personne d’autre ne t’aura, tu entends, Gabriel ?

Il se lança alors dans une vaine course vers la sortie. Je le rattrapai sans mal, et n’hésitai pas une seconde à faire courir la lame du couteau sur sa gorge dégagée. Le sang gicla tout autour de nous. Il tomba instantanément.

 

Le petit chemin – perdu dans la campagne environnante de Lescar – était noir, désert et glacé. Tout le monde descendit de voiture et se mit à la recherche d’un éventuel cadavre à la lumière des lampes-torche. Martin composa le numéro de Sandra : une sonnerie retentit faiblement. Il fit sonner l’appareil jusqu’à trouver d’où venait la mélodie, et ne fut pas surpris de trouver une jeune femme sans vie juste à côté du sac à main contenant le téléphone. Il n’eut pas besoin du médecin légiste pour déduire à la fine trace bleue autour de son cou qu’elle avait été étranglée. Il fouilla dans son gros sac à la recherche de papiers d’identité prouvant qu’il s’agissait bien de Sandra Cassou – bien qu’il la reconnût sans aucun doute – et fut obligé de s’asseoir à même le sol humide à l’ouverture d’une grosse enveloppe blanche contenue dans la besace.

- Qu’est-ce qui se passe, Martin ? demanda le commandant en le découvrant ainsi prostré.

En guise de réponse, Martin se contenta de lui tendre le cliché qu’il tenait dans les mains.

- Une écographie ? commenta le commandant. Elle était enceinte…

Ce soir-là, prise d’une violente crise de folie amoureuse, Juliette Capdevielle - jeune femme jusqu’alors sans histoire et sans passé psychiatrique d’aucune sorte - avait ainsi assassiné trois personnes : son collègue Gabriel et sa compagne Sandra, ainsi que l’enfant que cette dernière aurait dû mettre au monde six mois plus tard. Si ça avait été une fille, Gabriel et Sandra avaient décidé de l’appeler Juliette.

 

Qu’allai-je faire, désormais, sans Gabriel dans ma vie ? Ne trouvant aucune réponse à cette question, je retournai alors la lame ensanglantée du couteau vers moi, et n’hésitai pas une seconde à l’enfoncer dans mon ventre. Tout devint flou, puis tout noir. Peut-être la Mort nous réunirait-elle pour de bon ?

 

 © Hélène Cazenave

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6 octobre 2018 6 06 /10 /octobre /2018 15:49

Cher lecteur, chère lectrice,

 

Tout d'abord, merci de rendre visite à mon blog, en jachère depuis un certain temps... Si vous n'avez jamais lu mes MVDR, je vous conseille vivement de reprendre du début, parce que les histoires se suivent et, si vous vous contentez de lire cette nouvelle, vous risquez de ne pas tout comprendre... Si vous avez la flemme de tout relire, demandez-moi et je vous ferai un résumé.

Bonne lecture !

 

Hélène

 

C’est arrivé alors que je sortais du boulot, comme tous les soirs, et que je m’étais arrêtée devant la boulangerie, comme tous les soirs. J’étais en ligne avec Vincent.

Vincent, mon petit copain. Mon chéri. Mon amoureux. Mon concubin. Mon mec, quoi. Celui que j’avais attendu siiii longtemps, telle la Belle au Bois Dormant. La Perfection incarnée.

Je suis donc en grande conversation avec Vincent, le genre de conversation existentielle passionnante qu’ont tous les couples de la planète, tous les jours. Donc, je suis en train de lui dire :

« Oui, minou, je prends le pain et j’arrive. Je suis là dans dix minutes.

- Ca a été ta journée ?

- Oui, super ! Je n’ai renvoyé personne chez le principal !

- Ca se fête !

- Ô que oui ! Alors je prends aussi une bouteille de… »

Gloups. Arrêt cardiaque instantané.

« Allo ? Mon cœur ? Tu es toujours là ? »

Physiquement, oui. Pour le reste, je ne sais plus trop. J’arrive péniblement à articuler un « Je prends du vin et j’arrive. Bisous » et lui raccroche au nez.

Trois ans. Trois ans que j’ai quitté Com’Seil. Trois ans que j’ai tout plaqué pour reprendre mes études et passer le CAPES de français. Trois ans que je n’ai pas revu Jérôme. Et il se tient là, devant moi, main dans la main avec une fillette magnifique, comme son père. En plus, il s’est laissé pousser la barbe. C’est indécent tellement il est beau.

Il fait très chaud tout à coup, non ?

Aussi gêné l’un que l’autre, nous restons quelques secondes interdits.

« Myriam ? se décide-t-il à demander. »

Dans ses yeux brillent des millions d’étoiles. Je ne me suis jamais sentie aussi belle et désirable qu’à ce moment précis.

« Salut Jérôme, balbutiai-je, le cœur battant à toute vitesse. Qu’est-ce ce que tu fais à Bordeaux ?

- Je passe quelques jours chez des amis. Ca fait plaisir de te voir ! »

Je revois instantanément tous ces matins où – quand on était encore collègues – j’avais le souffle coupé dès qu’il apparaissait dans les couloirs de la boîte. J’ai passé des années à l’aimer en secret, le regardant, impuissante, se mettre en couple avec une autre, se marier puis même fonder une famille. Famille qui a apparemment rapidement volé en éclats, mais je n’étais plus là pour assister à ça. A bout de nerfs et pétrie de chagrin, je m’étais résolue à quitter mon job et repartir de zéro à Bordeaux.

Et voilà que je le retrouve, par hasard. Il y a des centaines de boulangeries à Bordeaux, et il a fallu qu’on se rende dans la même, au même moment.

Tout ça se passe dans ma tête, en une fraction de seconde. En vrai, je me contente de répondre :

« Oui, c’est clair ! C’est ta fille ?

- Oui, c’est Lucie. Elle a trois ans ! »

Cette petite blondinette bouclée, qui se cache dans les jambes de son papa, me jette de timides coups d’œil. J’ai envie de l’adopter sur le champ. Avec son père. Comment des sentiments qu’on avait pourtant tout fait pour enfouir, voire même enterrer, au plus profond de son être peuvent-ils ainsi nous exploser à la figure ???

«  Lucie, entame alors Jérôme en se penchant vers elle avec amour (je sens mon cœur fondre encore plus vite que le pot de Ben & Jerry’s Peanut Butter que j’ai mis au micro-ondes la semaine dernière parce qu’il était trop dur et que j’étais trop impatiente de le manger), je te présente Myriam. Elle travaillait avec Papa avant que tu naisses. Dis bonjour à Myriam, ma puce. »

Lucie disparaît derrière les genoux de son père.

«  Elle est un peu timide, me dit alors Jérôme, gêné.

- Je comprends… Elle est très mignonne.

- Merci. Toi aussi. »

NON JÉRÔME, NE FAIS PAS CA !!!

«  Enfin, se reprend-il, penaud que ses mots aient visiblement précédé sa retenue légendaire, je veux dire que… tu as l’air en forme ! Qu’est-ce que tu deviens ?

- Je suis prof de français depuis un an.

- Waouh, quel changement de vie radical ! Félicitations ! »

Il a sincèrement l’air impressionné. Alors, Jérôme, ça fait quoi de revoir la fille dont tu n’as jamais voulu et de constater que tu es passé à côté d’un tel canon ? Brillantissime, par dessus le marché ?

Je m’emballe peut-être un peu, là. Mes cours de développement personnel ont visiblement trop bien fonctionné.

Ou alors, c’est juste que je perds complètement les pédales devant lui et que mon cerveau tente par tous les moyens de garder le contrôle…

Flattée par ses mots, je réponds :

« Merci… Ca faisait un moment que j’y pensais alors un jour, j’ai décidé que…

- Ah, vous êtes là ! me coupe une jeune et jolie blonde en arrivant à notre hauteur. »

Elle alterne les regards vers Jérôme puis vers moi. Visiblement, elle attend les présentations. Moi aussi.

«  Ah oui, bégaie Jérôme, soudain très mal à l’aise. Euh… Oriane, voici Myriam. Myriam travaillait avec moi dans mon ancienne entreprise il y a plusieurs années. Myriam, voici Oriane, ma compagne. Puisque – je ne sais pas si tu es au courant – j’ai divorcé de Florence un peu après la naissance de Lucie. »

Pourquoi ce sentiment de jalousie primaire m’envahit-il instantanément ? Pourquoi ai-je envie de la détester sur le champ ? En plus d’être plus belle, plus mince, plus jeune et plus classe que moi, elle a l’air adorable. Je sens les personnes perfides, je les reconnais au premier coup d’œil. Elle ne fait pas partie de cette catégorie. Elle a sincèrement l’air gentil.

C’est officiel : je la hais. Trop parfaite pour être honnête.

En plus, non mais d’où elle sort ce prénom chelou ???

«  Enchantée, Myriam, me lance Oriane avec un grand sourire. »

Elle n’a qu’à me rouler une pelle, tant qu’elle y est.

«  De même, parvins-je à articuler poliment et avec un sourire plus que forcé.

- Bon, chéri, dit-elle à Jérôme, il faut y aller, on est en retard. Désolée d’écourter vos retrouvailles (Elle a vraiment l’air désolé. Donc, en plus, elle est polie…) mais on est attendu.

- Oui, oui, répond Jérôme, toujours aussi gêné. Bon, Myriam, je dois y aller.

- Pas de souci, lançai-je, d’un ton faussement cool. Mon copain aussi m’attend à la maison, de toute façon…

- Ah, tu as quelqu’un ? demande Jérôme, d’un ton mi-intéressé mi-déçu. C’est bien, ça… »

Comme si j’allais t’attendre toute ma vie, Jérôme ! Tu croyais quoi ? Que j’allais rentrer au couvent pendant que tu mariais et faisais un enfant avec une autre ? Non mais tu rêves, ou quoi ?! Et que j’allais toujours avoir des papillons dans le ventre après des années sans te voir ??? Non mais… Ah ben, là, tu marques un point…

Oriane me salue et prend Lucie par la main pour la faire monter dans une Golf bleue garée juste à côté.

« Il faudra qu’on trouve un moment pour discuter plus longuement, me dit Jérôme, l’air sincèrement déçu de devoir me quitter si vite. Je viens souvent à Bordeaux en semaine pour le travail… Tu as toujours le même numéro ?

- Oui, toujours. Et oui, ça serait sympa de prendre un café ensemble. 

- Bon, alors, je t’appelle un de ces quatre, d’accord ?

- Ca marche. A bientôt !

- A bientôt, Myriam. »

Je le regarde monter dans sa voiture et démarrer, voulant profiter un maximum de sa silhouette avant qu’il disparaisse à nouveau jusqu’à une date encore indéterminée.

Puis je repars moi aussi vers ma voiture – oubliant la bouteille de vin que je devais acheter avant de rentrer auprès de Vincent – et me demande bien ce que je vais pouvoir faire de ces sentiments qui ont refait surface si instantanément et si violemment…

 

© Hélène Cazenave

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3 décembre 2014 3 03 /12 /décembre /2014 19:01

- Quand même... C'était bien la peine de faire un enfant pour en arriver là... Je n'ai jamais porté Florence dans mon coeur, mais je ne la pensais pas capable d'aller jusque là...

Ma mère - au demeurant une femme d'une grande générosité et d'une immense gentillesse envers tout le monde - n'a jamais aimé et n'aimera jamais aucune femme qui a tenté ou tentera de m'approcher de près ou de loin... D'habitude, j'aurais relevé avec agacement son insistante manie de critiquer mes petites-amies depuis mon adolescence, mais aujourd'hui je dois bien me rendre à l'évidence : pour Flo, elle avait raison depuis le début.

Incapable de répondre quoi que ce soit d'à peu près cohérent, je détourne la conversation en lui proposant un dixième café.

- Non, je ne veux pas de café, Jérôme ! s'écrie-t-elle. Je veux que ta femme me rende ma petite fille ! Qu'est-ce que tu fais encore là ? Qu'est-ce que tu comptes faire pour récupérer Lucie ?

- Je n'en sais rien, Maman ! J'ai essayé de lui parler mais elle ne répond ni à mes appels, ni à mes textos, et son père refuse de me laisser passer le seuil de leur portail. Je ne vais tout de même pas porter plainte contre ma propre épouse !

- Appelle ton avocat, alors !

- Maman, on n'est pas dans une de tes séries télé américaines : je n'ai pas d'avocat !

- Eh bien, sors-toi le doigt, merde ! Trouves-en un ! Tu vas en avoir besoin tôt ou tard, de toute façon. Putain !

Je demeure quelques secondes interdit devant la soudaine grossièreté de ma mère, dans la bouche de laquelle "tu me fais suer" était jusqu'à présent l'insulte ultime, réservée aux jours de grosse colère. Elle-même semble immédiatement regretter son cruel manque de sang-froid, et se met à rougir.

Excédé et dépassé par la situation, je quitte la cuisine sans un mot et pars m'enfermer dans la salle de bains.  Je m'asseois sur le bord de la baignoire, la tête entre les mains, et me rémémore les événements de ces derniers jours.

Flo a donné naissance à Lucie après vingt heures de labeur... Les vingt heures les plus douloureuses de sa vie, mais, sans aucun doute, les plus insupportables de toutes mes vies antérieures, actuelle et futures inclues. Une femme qui accouche - on m'avait pourtant prévenu - perd tous ses filtres ; ses pires traits de caractères sont décuplés par la douleur. Sauf que Flo n'a jamais eu de filtres avec moi, même en temps normal, et elle ne voulait pas vraiment avoir d'enfant. Je vous laisse donc imaginer l'enfer que j'ai pu vivre durant ces vingt heures, à coup d'insultes, de reproches, même de coups violents. C'est à ce moment-là que j'ai vraiment réalisé que je ne l'aimais plus.

Lucie est née - le plus beau moment de ma vie - et, durant un court labs de temps, tout s'est apaisé et la vie est redevenue belle. J'ai pleuré d'émotion, d'amour pour ma fille et d'épuisement. Même Flo a versé une petite larme. Comme moi, elle a aimé sa fille d'un amour inconditionnel dès qu'elle l'a vue.

Mais rien n'a changé entre nous, ou presque. Flo alternait ces moments agressifs avec des moments étonnamment doux : elle devenait câline, même avec moi. Ces instants étaitent à chaque fois chargés d'espoir pour moi. J'en arrivais presque à croire qu'elle avait changé, que nous pourrions finalement être heureux ensemble, jusqu'à ce que le masque tombe à nouveau, encore et encore.

Le retour à la maison a été infernal. Flo ne supportait pas que Lucie pleure la nuit, elle refusait de se lever, elle me traitait comme un chien, encore plus que d'habitude, puis se radoucissait à nouveau, jusqu'à la prochaine crise. Quand on aime sa petite personne plus que tout le reste, même l'arrivée d'un enfant n'est qu'un détail qu'on règle à coup de maltraitance envers son conjoint. J'étais son esclave malgré moi, ne voulant que le bonheur pour ma fille et prenant sur moi, comme je l'ai toujours fait. Jusqu'à ce jeudi soir, où je suis rentré tard d'une mission de trois jours à Paris. J'appréhendais de savoir comment s'était passé le premier tête à tête mère-fille. 

J'avais à peine passé le seuil de la porte que je vis Flo débarquer dans l'entrée, habillée en tenue de soirée, notre fille dans les bras.

- Tiens, me dit-elle en me la tendant comme un paquet, sans même un bonjour.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Je sors avec des copines. Je suis déjà en retard à cause de toi.

- Quoi ? Mais t'as vu l'heure ? Pourquoi Lucie n'est pas couchée ? Et... ça fait combien de temps que sa couche est sale ?

- Lucie attendait que son papa rentre pour lui donner à manger, la baigner et mettre une couche propre. Ca fait trois jours que je me tape tout le travail !

- Quoi, elle n'a pas mangé ? Mais il est presque 23 heures !

- Oh, ça va, c'est bon ! J'ai besoin d'air, ok ? Alors fous-moi la paix.

Et elle sortit en claquant la porte, ce qui fit pleurer Lucie.

Je demeurai interdit un court instant, fixant la porte d'un regard abasourdi. Les cris de plus en plus perçants de ma fille me sortirent de ma torpeur. Je m'occupai d'elle du mieux possible étant donné l'heure avancée, et la couchai. Puis je m'assis sur le canapé du salon, sans le noir, et attendis.

A trois heures passées, j'entendis la clé tourner dans la serrure de la porte d'entrée. Flo trébucha en entrant, étouffant à peine un rire éméché. Elle alluma le salon et je la découvris décoiffée, barbouillée du noir qu'elle avait mis sur ses yeux et qui avait coulé sur ses joues. Elle était saoûle. J'avais pitié pour elle.

- Qu'est-ce que tu fous encore là ? me lança-t-elle en me découvrant sur le sofa. Tu te prends pour ma mère, ou quoi ?

Puis elle partit dans un fou rire un peu forcé et très ridicule.

- Je veux divorcer, lançai-je froidement et calmement, en la regardant droit dans les yeux.

Elle cessa instantanément de se marrer.

- Quoi ? Tu te fous de moi ?

- J'ai l'air ?

- On vient d'avoir un bébé ! C'est toi qui l'a voulu !

- Je sais. C'est bien pour ça que je vais demander la garde de Lucie. Tu es incapable de t'en occuper. Tu es incapable de penser à quelqu'un d'autre qu'à toi.

Elle tituba jusqu'à moi, manquant plusieurs fois de s'étaler.

- Mais c'est aussi ma fille ! De quel droit tu peux dire que je ne sais pas m'en occuper ? Qui se la tarte toute la journée pendant que Monsieur se la coule douce au boulot ? Hein ?

- Je te l'ai laissée trois jours. Vu son odeur, tu ne l'as pas baignée de tout ce temps. J'ai trouvé deux couches sales balancées par terre dans sa chambre. Elle avait du mal à respirer tellement son nez était plein parce que tu as dû trouver ça trop dégueulasse de la moucher. La maison est une procherie. Et regarde-toi : tu es ivre et pitoyable. Tu me dégoûtes. Je ne veux plus être ton mari, je ne veux plus que tu portes mon nom. Et je ne veux pas que tu t'occupes de ma fille.

Je me levai ensuite du canapé et me couchai dans la chambre d'amis, impassible devant la pluie d'insulte de ma future ex-femme alcoolisée. Je me sentais serein, libéré d'un poids trop lourd à porter.

Le lendemain soir, à mon retour du travail, je trouvai la maison vide, avec un mot posé sur le canapé :

"J'ai emmené Lucie chez mes parents et on va y rester. C'est aussi ma fille, je peux m'en occuper, tu ne me la prendras pas."

La sérenéité acquise la veille s'évanouit d'un seul coup, et je compris que les ennuis ne faisaient que commencer.

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28 août 2013 3 28 /08 /août /2013 16:04

Certaines journées sont particulièrement chaotiques : tout nous échappe, c’est l’enfer sur Terre et, on a beau essayer de lutter, on ne peut que subir… Aujourd’hui, pour moi, c’est une de ces journées.

Tout a commencé ce matin. Je croise Myriam qui sort des toilettes : ses yeux sont rouges et gonflés, elle est toute blanche et fait vraiment peine à voir. Elle esquive mon regard et s’enfuit presque en me voyant. Evidemment, je me dis qu’elle s’est encore mise dans cet état à cause de moi, et une bouffée de fierté me traverse le corps, même si je n’aime voir pleurer personne, surtout pas elle.

L’après-midi, je la vois sortir du bureau de Cécile, toujours dans le même état. La porte du bureau étant restée entr’ouverte, je m’appuie – de l’air le plus innocent possible – contre le mur juste à côté, feuilletant le dossier que j’ai dans les mains, et je tends l’oreille. Cécile appelle quelqu’un.

- Oui, c’est moi. Je ne te dérange pas ? Myriam est dans tous ses états à cause de ce connard…

Oups, ça, ça fait mal… Mais de quel droit me traite-t-elle de cette façon ? Je la connais à peine !

Elle continue :

- Elle n’a vraiment pas de bol… Il lui a vraiment sorti le grand jeu, ce porc. Mon père m’a toujours dit de me méfier des Anglais, et il avait raison !

Anglais ? Mais alors, elle ne parle pas de moi ? Je ne sais pas si je dois me sentir soulagé ou profondément vexé… Ma fierté de mâle ne fait plus la maline…

- Non mais tu te rends compte qu’il n’a jamais arrêté de voir son ex, en fait ! Pendant tout ce temps, il se tapait Myriam et, en même temps, il ramait pour récupérer l’autre connasse !

Les filles entre elles ne sont pas tendres, j’en ai encore la preuve…

- Mais non, Myriam n’a rien vu venir ! Et pourtant, je te dis : ce mec, il était trop parfait pour être honnête, je l’ai senti venir ! C’est vraiment un gros taré, en fait, ce Darius de mes deux ! Et dire qu’il est prof… Oui, prof à l’école internationale ! Vois un peu l’exemple pour les gosses ! Il mériterait qu’on lui casse la gueule, je te le dis !

J’en ai assez entendu… Je ne connais pas ce mec, mais je le déteste déjà. Profondément énervé, je repars dans mon bureau et réfléchis tout l’après-midi. Un peu avant dix-sept heures, je quitte le travail. Mes dossiers attendront demain.

Je me gare devant l’école en question. C’est la sortie des cours, et des dizaines d’enfants et d’ados en uniforme sont plantés sur le trottoir. J’attends, tapi dans l’ombre. Je veux voir la tête de celui qui a (encore) brisé le cœur de Myriam. La plupart des hommes qui sortent ont la cinquantaine, je me doute qu’il ne s’agit pas de l’un d’eux. Au bout de vingt minutes, il n’y a presque plus personne devant l’école. Je m’apprête à repartir quand un trentenaire fringuant, grand et mince, châtain, aux yeux clairs, sort de l’établissement d’un pas pressé.  Ni une ni deux, je sors de ma voiture et m’avance vers lui.

- Darius ? lançai-je.

Il se retourne, étonné.

- Oui…

Vu de près, il a les mêmes dents de cheval que le prince Charles. Ses yeux sont petits et inexpressifs. Je ne vois pas ce qu’elle a pu lui trouver…

- C’est justement vous que je cherchais. En fait, je voulais savoir si…

- Attendez, me coupe-t-il avec un accent anglais très hésitant, vous pouvez parler moins vite ?

Ce naze ne maîtrise même pas notre langue… J’entreprends de lui répondre an anglais.

- En fait, je n’ai pas grand chose à vous dire. Je voulais juste vérifier quelque chose.

- Je ne comprends pas…

Et le coup part… De façon brutale, brève mais surtout très intense, mon poing vient s’abattre sur sa mâchoire chevaline. Je ne sais pas lequel de nous deux est le plus étonné : lui, qui se retrouve étalé sur le trottoir, un filet de sang coulant au coin de sa bouche, ou moi, qui ai comme perdu le contrôle de mon bras droit et qui vient de m’exploser la seule main valide qu’il me restait après ma lutte avec Aurélien.

J’aimerais bien ajouter une petite phrase assassine à mon méfait – du genre « Et là, tu comprends mieux, connard ? C’est de la part de Myriam ! Maintenant, c’est toi qui vas souffrir !» - mais des membres du personnel de l’école sont en train de rappliquer à la rescousse de leur collègue. Ni une ni deux, je cours à ma voiture et démarre dans un crissement de pneus digne d’une scène clé de « Fast & Furious », tout en priant pour que personne n’ait l’idée de relever le numéro de ma plaque d’immatriculation.

Et une action de plus qui ne sert à rien, sauf à faire mal gratuitement, un peu comme un attentat non revendiqué... Parfois - souvent - je me trouve si affligeant...

Je rentre à la maison, tout en constatant que ma main a doublé de volume et me fait un mal de chien croissant. Pourtant, pas question que je remettre les pieds à l’hôpital, j’ai déjà assez donné…

Je n’ai pas le temps d’ouvrir la porte en grand que la douce voix de mon épouse résonne déjà dans la maison.

- Jérôôôôôôme !!! Viiiiiite !

Je lève les yeux, excédé, et la rejoins au salon en traînant les pieds.

- Quoi ? lançai-je sèchement.

- Amène-moi à l’hôpital de suite ! J’ai perdu les eaux, je vais accoucher !!!

 

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10 avril 2013 3 10 /04 /avril /2013 20:11

L’ambiance au boulot est moqueuse en ce lundi matin. Tous les visages sont limite hilares, mais, pour une fois, je n’ai pas l’impression que c’est de moi qu’on rigole…

Je salue tout le monde sans comprendre. On chuchote, on ricane, on complote. Mais que se passe-t-il ???

Je me rue presque vers le bureau de Cécile, ma collègue à la compta. On se dit toujours tout. Donc il faut absolument que je lui raconte dans les menus détails le week-end féérique que je viens de passer ! Et puis, elle doit déjà connaître l’origine de cette hilarité généralisée. Je sens que notre pause café va être longue et croustillante (sans mauvais jeu de mots) !

En chemin, je croise Jérôme, la mine renfrognée et la main gauche dans le plâtre. Jusqu’alors comme perdu dans ses idées noires, il sursaute en me voyant.

- Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ? lui demandai-je, soucieuse.

- Salut Myriam. Rien, rien… La porte d’entrée s’est refermée sur ma main… Ca va, t’inquiète.

Et il reprend sa route, me plantant là, seule avec mes interrogations. On dirait qu’il m’en veut… Il y a peu de temps, son comportement m’aurait profondément blessée, mais là, je n’en ai limite rien à faire ! Je reprends mon chemin et aperçois Aurélien, qui semble raser les murs. Il arbore un magnifique cocard à l’œil droit et n’en mène apparemment pas large non plus… Ca sent mauvais… Mais je me fais sûrement des films…

Je déboule dans le bureau de Cécile, en grande conversation téléphonique. Elle me voit arriver et me fait signe de refermer la porte derrière moi.

- Tiens, la voilà, lance-t-elle à son interlocuteur. Je mets le haut-parleur.

- Salut Myriam, chantonne Valérie à l’autre bout du fil. Valérie est commerciale et son bureau se trouve à l’étage -.

Je la salue et fais la bise à Cécile.

- Vous savez ce qui s’est passé pour que Jérôme et Aurélien soient dans cet état ? demandai-je, même si je sais déjà qu’elles savent.

- La version officielle, commence Cécile, c’est que Jérôme s’est coincé la main dans une porte et qu’Aurélien s’est pris un coup en jouant au rugby…

- Et l’officieuse ???

- Ils se sont battus ! s’écrie Valérie.

- Marie, la stagiaire qui est là depuis un mois, a tout vu ! enchaîne Cécile. Ca s’est passé vendredi soir, au Black Dragon. Ils y étaient tous les deux, et elle aussi. Il paraît qu’ils étaient tellement torchés qu’ils ne l’ont même pas reconnue.

- Au début, ils se marraient bien, apparemment, continue Valérie. Et puis Jérôme a reçu un coup de fil et là, tout a basculé. Apparemment, Aurélien a dit un truc que Jérôme n’a pas du tout apprécié, et donc il lui a collé un pain !

- Du coup, Aurélien a essayé de l’assommer avec une chaise, mais il n’a pas bien visé – tu m’étonnes – et il lui a explosé la main… Ils se sont fait virer illico.

Je me sens pâlir.

- Bon, les filles, dit Valérie, j’ai un coup de fil sur le portable. Je vous laisse.

Elle raccroche. Cécile – la seule dans la boîte à être au courant de ma petite aventure avec Aurélien – a bien compris mon malaise.

- On ne sait pas pourquoi ils se sont battus, me dit-elle. Ca n’a sûrement rien à voir avec toi…

- Permets-moi d’en douter… Je suis la première à pouvoir attester qu’Aurélien et l’alcool, ça fait deux…

Je fais mine d’être soucieuse deux secondes, puis affiche soudain un sourire des plus malicieux.

- Oh, toi, comprend Cécile, tu as quelque chose à raconter ! Et ça n’a rien à voir avec Jérôme ou Aurélien…

- La chance a enfin tourné !!! J’ai rencontré l’homme idéal !!!

Nous sautons de joie, surexcitées, comme des gamines.

- Je veux TOUS les détails !  s’écrie Cécile. Même – surtout- les plus osés !

- Il est tellement parfait que j’en ai le vertige rien qu’en pensant à lui… Tu sais, c’est l’Anglais que j’ai rencontré sur Meetic. Il s’appelle Darius, il a 33 ans, un sourire à tomber, un corps parfait, et il est trop intelligent et trop intéressant !

Je suis aux anges de pouvoir enfin raconter une histoire positive. Mon ventre est continuellement parcouru de papillons multicolores depuis notre rencontre en chair et en os, après deux longues semaines d’échanges de mails enflammés ! Je continue donc mon récit :

- En bon citoyen britannique, c’est un vrai gentleman. Notre premier rendez-vous était donc vendredi soir, il a bien sûr insisté pour payer le repas, il m’a inondée de compliments, et il m’a embrassée devant ma voiture, comme dans les films ! Il n’a même pas cherché à prendre un dernier verre chez moi ! Je vis un rêve !

Nouveaux gloussements aigus.

- Et tu l’as revu dans le week-end ?

- Oui ! Il m’a dit qu’il ne pouvait déjà plus se passer de moi ! Alors, samedi, il m’a kidnappée pour l’après-midi, pour me faire une surprise ! Il est trop original ! Je l’aime déjà ! Il m’a emmenée visiter un château médiéval, dont chaque recoin sombre était prétexte au batifolage ! J’en pouvais plus !!! Et, à un moment, très fier, il m’annonce qu’il a réservé une table au Pont des Vagues le soir-même !

- Mais c’est ton resto préféré ! C’est super chicos comme endroit !

- Oui !!! Je lui en avais parlé la veille, et il a retenu le nom ! Mais où étais-tu, Darius, durant mes trente premières années ?

Je lui raconte donc notre repas. J’avais espéré qu’un gigantesque bouquet de roses rouges m’attendrait au milieu de notre table, éclairée par la seule lueur de quelques chandelles… Finalement, aucune fleur ni aucune bougie n’ornait la table qu’il avait réservée, mais peu importe… C’est bien connu, de toute façon : de nos jours, les hommes ont comme oublié à quel point un simple bouquet de fleurs peut faire plaisir à une femme. Même les hommes parfaits ne font pas exception à la règle…

Darius m’impressionnait tellement que j’avais du mal à tenir une conversation cohérente. Mais, comme il parle pour deux (en anglais, parce qu’il a tellement été busy* durant les quatre années qu’il a passées en France qu’il n’a jamais eu le temps d’apprendre à parler notre langue), ça n’avait aucune importance ! Il est tellement fantastique que je buvais littéralement chacune de ses paroles. Il m’a raconté sa vie en Angleterre, ses voyages, il m’a parlé de son travail passionnant de professeur dans l’école anglaise de la région, de son ex Nicky, qui l’a quitté, dévasté, il y a quatre mois de ça, (je ponctue ce passage d’un « Mais comment peut-on quitter un mec comme ça ? », ce à quoi Cécile acquiesce trop à 200%), de ses parents, de sa maison. Pour ne pas noircir ce tableau si paradisiaque, j’omets volontairement de mentionner combien de fois son ex Nicky, qui lui manque tant, est revenue dans la conversation, avec toutes ses autres nombreuses ex, qui n’ont jamais égalé Nicky… J’ai bien trouvé qu’il parlait un peu trop souvent de cette Nicky, mais j’ai préféré me dire que, le pauvre, c’est un grand sensible qui a du beaucoup souffrir de cette rupture. Quelle vilaine fille, cette Nicky ! Mais quelle bonne idée a-t-elle eu de le quitter, pour mieux qu’il me tombe dans les bras !

Ce que j’omets également de raconter à Cécile, c’est le moment de l’addition, lorsque mon beau gentleman m’a demandé, sans avoir l’air d’en être gêné outre mesure, si ça ne me dérangeait pas qu’on divise la note en deux. Ce à quoi j’ai évidemment répondu « Oh mais non, bien sûr ! D’ailleurs, je vais même t’inviter ! » Rappelons que l’idée du restaurant venait de lui. Mais chaque homme parfait a ses failles… Non ?

Je m’apprête à passer à la suite du repas quand l’expert comptable avec lequel Cécile a rendez-vous se fait annoncer à l’accueil. Je la laisse donc sur sa faim et pars enfin m’installer à mon bureau, des milliers de papillons tournant toujours furieusement dans mon ventre. Ca y est, j’ai enfin le droit d’être heureuse ! Et c’est vraiment magique...

 

TBC (To Be Continued)

 

* busy : occupé


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4 février 2013 1 04 /02 /février /2013 18:45

Chers lecteurs,

 

Si votre mémoire vous fait défaut, je vous renvoie à la MVDR 6, à laquelle il est ici fait référence.

 

Hélène

 

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- Voilà, ça y est. Même si vous êtes droitier, il est préférable que je vous arrête ne serait-ce que deux jours. Reposez-vous bien, ne forcez pas sur votre main. Vous reviendrez dans trois semaines pour qu’on vous retire le plâtre.

Toujours en colère, je me force à le remercier du bout des lèvres tout en me levant du divan.

- Vous êtes sûr que vous ne voulez pas appeler quelqu’un pour vous ramener chez vous ? me lance le médecin alors que j’enfile ma veste toute froissée.

- Non non, ça va aller, je n’habite pas loin.

- Ah, et n’oubliez pas ça ! me dit-il, l’air taquin, en me tendant mon alliance, qu’il a du me retirer pour faire le plâtre. Sinon Madame ne va pas être contente !

Je ne prends même pas la peine de me forcer à sourire à sa blague de Prisunic, et quitte la pièce blanche aseptisée. Ce qui m’inquiète, ce n’est pas de dire à Florence que mon alliance est dans ma poche et pas à mon doigt, mais c’est de lui expliquer pourquoi je rentre un vendredi soir à minuit passée, la main gauche dans un plâtre et la chemise déchirée.

Je règle les formalités à l’accueil des urgences et me rend à ma voiture. Je démarre, non sans mal car ma main me fait un mal de chien, et prends le chemin de la maison. En roulant, je repense à comment j’en suis arrivé là.

 

Entre les soucis au boulot et l’ambiance pesante à la maison, cette semaine avait été un vrai calvaire et je n’étais pas sûr de voir l’arrivée du week-end d’un très bon œil. Il était dix-huit heures trente, tout le monde avait levé le camp depuis longtemps et je prenais, moi aussi, le chemin de la sortie quand, en passant devant le bureau d’Aurélien, je le trouvai encore là, plongé dans un dossier.

- Ben alors, lui lançai-je sur le pas de la porte, ça fait trois mois que tu es embauché, et tu prends déjà racine !

- Salut, Jérôme ! Tais-toi : ça fera trois mois vendredi prochain… En attendant, je suis toujours en période d’essai, alors je fais du zèle parce que je sais que Jacques m‘a à l’œil…

- Mais lui aussi, il est parti depuis longtemps. Allez, lâche ta paperasse ! Ca te dirait d’aller célébrer la fin de la semaine autour d’une bière ? Je t’invite !

- D’accord ! Je préviens Elise et je te rejoins dehors.

Pour ma part, pas la peine d’avertir Flo : jusqu’à vingt heures, elle penserait que je suis toujours au travail. Après, j’improviserais. Je commençais à avoir l’habitude…

Deux heures et quelques pintes plus tard… Nous étions en pleine reconstitution du dernier match OM-PSG lorsque mon téléphone, alors posé sur la table, se mit à vibrer. C’était Flo, évidemment. Et elle était en rogne, évidemment. Sa colère s’accentua d’autant plus quand elle comprit, à ma voix vaporeuse et à la musique en bruit de fond derrière moi, que je n’étais pas au travail mais dans un bar, et ce depuis assez longtemps pour être passablement éméché… Je l’envoyai balader, sous le regard amusé de mon beau-frère, alors dans le même état d’ébriété que moi, et lui raccrochai au nez.

- Non mais, c’est qu’elle commence à me les gonfler grave, à la fin ! m’écriai-je après avoir raccroché (du moins, je l’espère). C’est pas parce qu’elle est enceinte qu’elle a le droit de me parler comme à… comme à un…

- Comme à une merde ! s’exclama Aurélien, avant de partir dans un fou rire communicatif.

- Ouais, c’est clair ! Chuis pas son larbin, moi ! Chuis un mec ! Ouais !

Aurélien m’applaudit, et je bombai le torse, sous les yeux plein de pitié d’un groupe de filles assises non loin de nous. Mais, sur le moment, je pris ça pour de l’admiration…

- C’est pas parce qu’elle veut plus que je la touche qu’il faut qu’elle oublie qui c’est qui a les cojones à la maison !

- Ah, mon pauvre gars ! Tu dois en avoir gros dans le pantalon !

Fou rire encore plus gros et plus gras. L’alcool, c’est mal.

- Remarque, si tu veux un peu te vider la cartouche, t’as pas besoin de chercher très loin, hein ? Y en a une qui n’attend que ça, au bureau !

Mon ex-futur beau-frère solda cette remarque à la subtilité travaillée par un clin d’œil tout aussi fleuri, le visage tourné au trois-quart et la bouche grand’ouverte.

- T’es con ! lui dis-je, mi-fier et mi-agacé par sa remarque. Myriam, elle est pas comme ça. C’est pas une fille facile, qui va coucher avec un mec juste pour le fun.

Aurélien prit alors l’air – très exagéré - du petit enfant qu’on vient de surprendre la main dans le bocal à bonbons. De toute évidence, il savait des choses que je ne savais pas, et ça l’amusait beaucoup.

- Quoi ? demandai-je, feignant toujours, mais avec difficulté, d’être amusé par la tournure que prenait cette conversation. Pourquoi tu fais cette tête ? Allez, mon gars, balance !

- Ben… Je pense que tu la mets un peu trop sur un pied de cristal, ta Myriam…

- « destal ».

- Quoi ?

- « Piédestal », pas « pied de cristal »… Mais, on s’en fout, continue.

- Ben… En fait, ta Myriam, il se pourrait bien que ça soit une petite cochonne, si tu vois ce que je veux dire !

Ca avait vraiment l’air de beaucoup l’amuser. Moi, là, je riais jaune.

- Non, Aurélien, justement, là, je ne vois pas du tout où tu veux en venir…

- Ben…

- Mais putain, arrête avec tes « ben » ! C’est chiant, à la fin !

- Ca va, mec, calmos ! Il se pourrait bien que j’aie un peu… comment dire… fricotté avec elle…

Je restai sans voix l’espace de quelques secondes, espérant mal interpréter ce qu’il était en train de me dire. Lui semblait jubiler.

- Tu peux préciser ?

- Ben, j’ai couché avec elle ! Faut te faire un dessin, ou quoi ?

C’était bien ce que j’avais compris.

- Attend, Aurélien, tu es en train de me dire que tu as trompé Elise ? Que tu as trompé ma petite sœur ? Et avec ma… Et avec Myriam, en plus ?

Soudain, il pâlit. Visiblement, la bière lui avait fait oublier à qui il était en train d’avouer son méfait.

- Ecoute, Jérôme, je te jure que ça a été la première et la seule fois que je l’ai trompée !

- C’était quand ? demandai-je sur un ton glacial.

- Le soir du pot de départ de Gilbert.

- Au pot de départ de Gilbert ? Tu veux dire justement le jour où j’étais aller supplier le patron de t’embaucher à sa place, parce que tu étais un bon élément, et parce que tu allais t’installer avec ma sœur quelques semaines plus tard ?

- Mais j’en savais rien, moi, que t’étais allé voir Jacques pour moi ! On s’était pris la tête juste avant avec Elise et cette Myriam était là, toute seule… J’avais trop bu parce que j’étais dégoûté de m’être engueulé avec Elise, et elle avait l’air open, alors…

A cet instant, j’ai explosé.

- Mais tu te rends compte de ce que tu dis ! Tu m’annonces que tu as trompé ma sœur, et en plus, tu manques de respect à Myriam ! Et moi qui te faisais confiance… T’es qu’un connard, en fait !

- Attends, Jérôme, qu’est-ce qui te dérange le plus, là-dedans ? Que j’aie trompé ta sœur, ou que j’aie sauté Myriam avant toi ?

Ni une ni deux, je me levai et lui collai une droite phénoménale, qui le projeta dix mètres derrière (ou juste deux mètres, peut-être, j’en rajoute sûrement un peu). Je contemplai alors ma main droite, endolorie par le coup qu’elle venait de porter, et ne le vit pas revenir, brandissant la chaise contre  laquelle il avait atterri. Maladroit, il  voulut l’abattre sur ma tête, mais c’est sur ma main gauche, alors posée à plat sur la table, qu’elle alla s’échouer violemment, m’arrachant un hurlement de douleur.

Le barman et le patron du pub nous mirent alors dehors de façon assez expéditive. J’aurais bien fracassé le crâne de ce traître d’Aurélien contre le trottoir, mais j’avais vraiment trop mal à la main.

- Jérôme, écoute…

- Dégage ! Je tu jure, Aurélien, dégage ou je te promets que tu rentres chez toi entre quatre planches !

- J’aime ta sœur, Jérôme ! Je sais que c’est dégueulasse, ce que je lui ai fait, et je te jure que je ne recommencerai jamais. J’ai fait une connerie et…

- Mais tu vas la fermer, à la fin ! Allez, rentre, va voir Elise ! Va lui expliquer pourquoi tu es dans cet état ! Dis-lui ce que tu veux, mais considère qu’à partir de maintenant, pour moi, tu ne fais plus partie de la famille.

Je le laissai alors planté devant le bar et retournai à ma voiture pour me rendre aux urgences.

 

J’approche de la maison. Il va falloir que je trouve une explication qui tient la route.

Mais je n’arrive pas à décolérer contre Aurélien. Il a trompé ma sœur et, en plus, il a visé juste : je n’aime pas du tout l’idée que Myriam ne soit pas la sainte nitouche que je pensais.

Ce soir, je suis en colère, mais surtout contre moi.

Parce qu’en fait, je suis jaloux.

 

 

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22 janvier 2013 2 22 /01 /janvier /2013 23:42

Au volant de notre Scénic flambant neuf, je déboule dans l’allée de la maison et m’arrête au son d’un crissement de pneus totalement incontrôlé. Il est presque vingt heures. Flo va me tuer.

Je bondis hors du véhicule sans même prendre le temps d’attraper mon manteau, resté sur le siège passager, et entre en courant. Après la journée que j’ai passée, la énième scène qui m’attend me stresse encore plus que d’habitude. C’est dire…

Je n’ai même pas le temps de fermer la porte derrière moi que, déjà, les reproches pleuvent, venus tout droit du salon.

- Non mais t’as vu l’heure ? Je t’ai appelé au moins mille fois ! Pourquoi t’as pas répondu ?

A la fois penaud et très énervé, je fais mon entrée dans la pièce à vivre, pour trouver mon épouse affalée sur la canapé, telle une baleine échouée au bord de la plage. Son visage – déjà bouffi par la rétention d’eau- est déformé par la colère. Ses yeux noirs m’envoient des éclairs furieux.

- Flo, s’il-te-plaît, pas ce soir, commençais-je à dire, de la façon la plus calme possible. J’ai enchaîné les réunions foireuses et…

- Et moi, alors ? explose-t-elle. Ils attendent ton enfant, tous ces managers de mes deux ?

La grossesse la rend très vulgaire… Elle continue cette complainte, que je finis, à force, par connaître par cœur :

- Je me tape huit heures de boulot par jour, avec un mal de dos que tu ne peux même pas imaginer ! Et la petite qui n’arrête pas de bouger et de me donner des coups de pieds toutes les cinq minutes ! J’aimerais au moins que le responsable de mon état soit là le soir pour tenir son rôle de mari !

Je commence à perdre patience. Ca fait un mois que j’ai droit à ça tous les jours et ça devient très lourd à supporter.

- Ecoute, Flo, commençai-je, tout en m’asseyant sur le fauteuil en face d’elle, tu sais bien que j’ai des responsabilités au boulot et…

- Mais putain, je le sais, oui, que tu es cadre ! Tu me le serines tout le temps ! Mais maintenant, ta principale responsabilité, c’est de t’occuper de ta famille !

- Et comment veux-tu que je subvienne aux besoins de ma famille si je perds mon job, Flo ? Parce que c’est ce qui va arriver si je sors tous les soirs à cinq heures comme tu me le demandes…

Acte 2 du scénario « Je suis une pauvre femme enceinte et mon mari est un salaud » : les larmes. Elle enfouit sa tête dans le coussin et se met à geindre bruyamment.

Excédé, mais également conscient que le mal-être de la mère impacte directement sur celui du bébé, je m’agenouille alors au bord du canapé et entame une longue série de caresses et d’excuses en tout genre. Elle se calme assez vite – ce qui lui enlève toute la crédibilité que j’aurais pu lui accorder si ça ne faisait pas déjà presque six mois qu’elle me faisait le coup tous les jours – et repousse violemment mon bras, endolori à force de passer et repasser sur ses cheveux. Sans mot dire, totalement résigné, je me relève donc et entreprend de préparer le repas, même si je n’ai pas le moins du monde faim.

J’arrive dans la cuisine et mon désespoir s’accentue : tout est sens dessus dessous, le lave-vaisselle est resté ouvert et empeste dans toute la pièce, les casseroles sales s’entassent dans l’évier, le sol est jonché de traces de pas boueux, la poubelle déborde. Et c’est comme ça dans toute la maison. Flo n’a jamais été une fée du logis, mais elle faisait sa part du ménage, et moi, la mienne, ce qui me suffisait amplement avec les journées de douze heures que j’enchainais régulièrement.  Mais, à partir du jour où elle a su qu’elle était enceinte, elle a complètement arrêté de s’occuper de la maison, prétextant d’abord des nausées régulières, puis un énorme mal de dos, et, depuis quelques semaines, le poids du bébé, de plus en plus pesant. Une façon parmi tant d’autres de me faire payer mon désir pour cet enfant.

A mesure que je la vois grandir et prendre forme dans le ventre de sa mère, j’aime ma fille de plus en plus, sans même l’avoir encore tenue dans mes bras. Flo, quant à elle, semble la rejeter – et me rejeter par la même occasion – un peu plus chaque jour. Et son attitude m’effraie. Pour nous deux, j’ai fait mon deuil, je pense que c’est fini. Je ne crois pas être capable de l’aimer comme avant après l’avoir vue se comporter de la sorte, même si elle se radoucissait une fois notre fille née (ce dont je doute). Mais je ne supporterais pas que Flo rejette notre enfant.  

Après un repas pris seul devant la télévision – Flo ayant refusé les lasagnes tout droit sorties de chez Picard que je lui avais apportées sur un plateau sous prétexte « qu’une femme enceinte a droit à mieux qu’un plat industriel de merde» et étant montée se coucher – je m’allonge sur le canapé et éteint la lumière. Flo refuse que je dorme avec elle depuis environ deux mois, son mal de dos nécessitant soit-disant la place de deux personnes dans le lit.

Les yeux grand ouverts dans l’obscurité, je repense à ma vie avant Flo, mais aussi aux débuts, pourtant si heureux, de notre vie de couple. Je me demande ce que j’ai sous-estimé, mal évalué.

Et je pense à Myriam, ma collègue et ancienne confidente : elle non plus ne m’adresse plus la parole depuis quelques mois. Et elle me manque. Je pense bien la connaître et suis convaincu que nous aurions pu avoir un avenir ensemble, probablement bien plus heureux que celui qui s’annonce aujourd’hui avec ma femme.

Que se serait-il passé si je l’avais embrassée, comme j’en avais tant envie, à la soirée de clôture de notre séminaire à Paris il y a trois ans ? Aurais-je quitté Flo pour elle ? Serions-nous toujours ensemble aujourd’hui ?

Et si j’avais fait le mauvais choix ?

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21 janvier 2013 1 21 /01 /janvier /2013 13:01

Midi trente. C’est l’heure. Ca fait déjà un moment que mon estomac crie famine, et je n’en peux plus. Mon dernier coup de fil terminé, je me rue à la cuisine et sors du réfrigérateur le plat de pâtes carbonara que je me suis cuisiné la veille avec amour. Pendant que le tupperware tourne dans le four à micro-ondes, j’étale sur la table les gros morceaux de pain et le fromage que je n’ai pas manqués d’apporter pour le dessert, et me lèche les babines. Malheureuse, je réalise alors avec effroi que ma crème chocolat est, elle, restée à la maison. Je devrai donc me contenter d’une clémentine pour clore ce succulent repas…

L’odeur des lardons et de la crème fraîche envahit peu à peu la petite cuisine d’entreprise. Mon estomac est de plus en plus excité.

La sonnerie du micro-onde retentit enfin. Ni une ni deux, j’attrape la boîte en plastique et m’attable avec hâte.

Je suis à peine en train d’ouvrir la bouche pour y porter la première cuillérée de pâtes dégoulinantes de gras que Rita et Chantal font intrusion dans la petite pièce. Rien que ça, ça me coupe un peu la faim.

Elles me lancent un « bon appétit » des plus vagues, tout en peinant à cacher leur effroi devant ce que je m’apprête à ingurgiter. A son tour, Rita ouvre le frigo et en sort une boîte en plastique et un sachet de jambon blanc entamé.

- Et toi, qu’est-ce que tu manges ? demande Rita à Chantal, quinquagénaire grande et sèche, au brushing toujours parfait et maquillée comme dans une série des années 80.

- Oh, j’ai pas faim… Tu sais, après ces fêtes, je me sens toute ballonnée.

Du coin de l’œil, je regarde son ventre aussi plat qu’une planche à découper et me demande, l’espace d’une seconde, si elle plaisante. Mais non, malheureusement, elle n’a jamais été aussi sérieuse.

- Oui, renchérit Rita, qui doit elle aussi peiner à fermer les boutons de son jean en 36 tous les matins, bien sûr… Moi aussi, je fais attention… J’ai pris un ou deux kilos, je pense…

Ce qui est sûr, c’est qu’elle ne les a pas pris au cerveau…

Elle sort alors trois feuilles de salade de sa boîte en plastique et les mâche une par une avec soin (mais toujours de façon très distinguée). Pas de sauce pour accompagner, évidemment. Elle prend ensuite une tranche de jambon blanc et l’ingurgite délicatement.

Comme elle n’a rien d’autre à faire, Chantal ne peut s’empêcher de me regarder manger. Ses yeux sont comme recouverts d’un voile d’envie qu’elle fait tout pour camoufler.

Probablement pour penser à autre chose, elle ouvre la petite bouteille d’eau qu’elle tient à la main, et la vide à moitié. Puis elle entame la conversation.

- J’ai croisé Jérôme et sa femme au supermarché samedi dernier.

Vieille peau.

Elle essaie de frapper là où ça fait mal.

- Florence a drôlement grossi… continue-t-elle.

- Ne m’en parle pas ! renchérit alors Rita. On dirait qu’elle en est à son huitième mois, alors que ça fait quoi ? Cinq mois ?

Elles me jettent alors un regard interrogatif. Elles savent que je sais. Mais je n’ai vraiment pas envie d’en parler, encore moins de leur répondre (et puis j’ai la bouche pleine). Je me contente donc de secouer la tête, en prenant mon regard le plus naïf possible. Elles pincent les lèvres, puis retournent à leurs commérages.

- Bref, continue Chantal, elle qui est pourtant de nature si mince… Ca m’a fait un choc…

- Enfin… « Mince »… Comparée à Valérie Damidot, d’accord !

Et les deux pouffent de rire.

C’est officiel, elles m’ont coupé l’appétit. Pour des raisons qui ne regardent que moi – mais que tout le monde connaît – je n’ai jamais porté Florence dans mon cœur. Mais de là à se payer sa tête avec une méchanceté si gratuite et si décomplexée… J’imagine ce qu’elles doivent dire sur moi et ma taille 42, sans avoir jamais porté d’enfant dans mon ventre…

Je n’ai certes plus faim mais, rien que pour faire baver d’envie ces deux pestes, je continue à avaler goulument mon plat de pâtes, puis mon pain et mon fromage, tout en les écoutant passer au crible chaque employé de Com’seil, comme si je n’étais pas là. Une telle est trop grosse, un tel est trop laid, Machin a mauvaise haleine, Truc est un idiot fini… Elles ont tellement oublié ma présence qu’elles en reviennent tout naturellement à Jérôme.

- Ce pauvre garçon, entame Rita d’un air faussement compatissant… Le boss l’a dans le nez depuis l’incident avec Ranger… Et encore plus maintenant qu’il sait qu’il va être papa et qu’il va prendre ses congés paternité…

- Et être beaucoup moins disponible, renchérit Chantal. C’est pas avec la femme qu’il a qu’il va pouvoir se la couler douce à la maison avec le bébé…

- Tu m’étonnes… On sait qui porte la culotte dans le couple ! Ce pauvre Jérôme a toujours été effacé avec elle, mais j’ai l’impression que c’est de pire en pire depuis qu’elle est enceinte…

- Ne le répète à personne, se met alors à chuchoter Chantal (comme si je n’allais pas entendre alors que je suis assise à un mètre d’elles), mais ma voisine – qui fait de la gym le jeudi matin avec la mère de Jérôme – m’a dit que Florence ne voulait pas de cet enfant… Il paraît que c’est lui qui a insisté pour le garder mais que, depuis, elle lui mène une vie infernale…

Je connaissais la première partie du potin, de source sûre, puisque c’est Jérôme lui-même qui me l’avait révélée. Mais la suite éclaire soudain beaucoup mieux ma lanterne : pour un futur papa comblé, je trouvais en effet Jérôme de plus en plus renfermé et déprimé depuis quelques semaines. Mais la fréquence et la qualité de nos rapports - descendues en-dessous du niveau de la mer - ne m’avaient pas permis de faire le rapprochement.

A cet instant, je devrais le plaindre. Mais non, je suis toujours en colère contre lui, et ce commérage ne me fait ni chaud ni froid. Jérôme n’a que ce qu’il mérite : si c’est moi qu’il avait épousée, il n’aurait pas ce genre de problèmes. 

Et moi, au moins, je suis seule, mais personne ne me pourrit la vie…

A bien y réfléchir, cette nouvelle m’enchante presque. Je sais que c’est mesquin et très méchant, mais on se console comme on peut, c’est bien connu… Le malheur des uns ne fait-il pas, après tout, le bonheur des autres ?

Je finis mon repas avec appétit, le sourire aux lèvres, puis retourne travailler, laissant aux deux commères tout le loisir de bavasser dans mon dos.

La roue ne serait-elle pas en train de tourner ?

 

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13 novembre 2012 2 13 /11 /novembre /2012 19:12

Comme tous les jeudis soirs, je rente de mon cours de salsa. Comme tous les soirs depuis 5 ans, Ben est assis à son bureau, la main droite agitant frénétiquement sa manette de jeu, et la gauche tenant tant bien que mal ce qui doit être son dixième joint de la journée. Son regard est vide, sa bouche grand’ouverte. Il a l’air d’une loque. Il me fait pitié, ce soir encore plus que d’habitude.

- Tu dois rappeler ta mère, me lance-t-il en guise de « bonjour », alors qu’on ne s’est pas vu de la journée. Ses yeux n’ont pas bougé de son écran.

Tout l’appartement empeste le cannabis.

Je ne réponds rien. Je n’ai même plus envie de lui parler.

Il n’a même pas remarqué qu’il est presque minuit.

Tout en me démaquillant, je me demande s’il serait toujours aussi indifférent s’il savait que je viens de le tromper.

Probablement que oui. A cause de son addiction, son orgueil masculin a déserté son cerveau en même temps que ses neurones. Et que sa libido.

Mais la mienne va très bien, merci. Et ce soir, j’ai enfin eu l’impression d’être à nouveau une femme.

Je décide de prendre une douche, histoire de ne pas trop empester l’odeur de « l’autre ». Même si Ben ne s’en rendrait même pas compte, j’en suis sûre.

Je n’avais jamais trompé personne. Et je m’en étais toujours crue incapable, je craignais trop ce sentiment de culpabilité qui, pourtant, ne vient toujours pas.

Je repense à ce soir. Je revois le moment où tout a dérapé.

Je suis restée après le cours, comme de plus en plus souvent ces derniers temps. Pas envie de rentrer chez moi, mais très envie de rester auprès de Manuel, mon magnifique prof, avec son enivrante odeur mêlant after-shave boisé et sueur de fin de journée. Rien que d’y penser, des images que la bienséance qualifierait de honteuses et dépravées me venaient instantanément à l’esprit. J’étais comme un aimant irrémédiablement attiré vers le mauvais morceau de fer.

Nous nous étions déjà embrassés il y a quelques temps.  Mais on n’en avait jamais reparlé ; nous nous contentions de nous dévorer des yeux pendant les cours, guettant chaque occasion qui se présentait pour danser ensemble.

Myriam n’arrêtait pas de me tanner pour que j’aille plus loin avec lui. Elle disait que ça me ferait du bien, et que ça ferait les pieds à Ben. Mais je n’y arrivais pas. Mon QI descendait instantanément à -12 quand j’étais en présence de ce bel hidalgo.

Mais ce soir, tout a basculé.

Après le cours, je suis restée discuter avec Manuel et Monica, une autre prof de danse de l‘association, grande et magnifique Espagnole d’une quarantaine d’années, aux longs cheveux noirs et épais, à la bouche rouge feu et dont les courbes et le décolleté débordant feraient pâlir de jalousie n’importe quelle fille de la planète, aussi jolie soit-elle. J’étais d’ailleurs très contrariée de sa présence, qui gênait ma tentative d’approche envers Manuel.  Lui ne semblait pas vraiment troublé par cette bombe, ce que j’avais beaucoup de mal à comprendre. Nous avons d’abord parlé de la prochaine compétition de salsa locale – pour laquelle ils seraient partenaires -  avant que le sujet ne bifurque sur la crise en Espagne, la grandeur de l’équipe de foot nationale et d’autres thèmes que j’ai oubliés. Manuel me fascinait. Monica me troublait. Ses grands yeux noirs étaient vissés sur moi, soutenaient mon regard, comme pour pénétrer mon âme.

Malgré la rudesse hivernale ambiante, j’avais très chaud. La tête me tournait.

Au bout d’un moment, Manuel a regardé sa montre et a déclaré qu’il était attendu et qu’il devait y aller. Je n’en avais pas vraiment envie, mais j’en ai tout de même profité pour m’éclipser dans les vestiaires pour me changer et partir à mon tour. Nous laissâmes donc Monica travailler ses chorégraphies dans la salle de cours.

Cela faisait trois minutes que j’étais entrée dans le vestiaire. Après avoir consacré quelques secondes à tenter de reprendre mes esprits, je venais juste d’ôter mon tee-shirt lorsque j’entendis la porte s’ouvrir derrière moi. Mon cœur bondit et je me retournai avec précipitation, me disant que Manuel était tout de même gonflé de s’incruster ainsi chez les femmes.

Mais ce n’est pas Manuel qui s’est lentement avancé vers moi en me fixant de ses grands yeux noirs si perturbants.  Ce n’est pas Manuel qui s’est planté devant moi, affichant l’air satisfait et sûr de lui de celui qui sait qu’il a gagné la partie. Ce n’est pas Manuel qui a frôlé ma joue de sa main douce et chaude. Ce n’est pas Manuel qui m’a embrassée fougueusement, me laissant complètement sans armes, incapable de protester, succombant au plaisir de cet instant interdit. Ce n’est pas Manuel qui m’a arraché un hurlement de plaisir dont tout le voisinage a dû profiter. J’en arrive même à penser que Manuel n’aurait pas pu m’apporter le dixième de l’extase que m’a procurée Monica.

 Ce soir, avant d’aller me coucher, je regarde une dernière fois Ben vissé à sa manette de jeu.

Et je suis heureuse.

 

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25 octobre 2012 4 25 /10 /octobre /2012 11:59

Un dimanche ensoleillé, quelque part vers le bassin d’Arcachon. Mémé Nénette, la grand-mère maternelle de mon père, célèbre ses 90 ans. Toute la famille est là, venue des quatre coins de la France pour l’occasion. On se voit tellement rarement que j’avais même oublié que certains de mes cousins avaient eu des enfants (qui ont pourtant tous déjà entre trois et six ans). Je me demande même si je l’ai jamais su…

 Nous sommes tous attablés dans le grand jardin de Mémé et Pépé. Le vin coule à flot, l’ambiance est conviviale, les enfants courent partout. Nous sommes en tout et pour tout trente-trois adultes. Chiffre impair, me direz-vous…

PARCE QUE JE SUIS LA SEULE CELIBATAIRE DE LA FAMILLE.

Je n’avais pas envie d’aller à cette fête pour cette raison. J’en ai déjà assez avec les regards mi moqueurs et mi emplis de pitié de certains de mes collègues à longueur de journée… Tous en couples, mariés, avec enfants, tous bien entrés dans le moule et moi, le mouton noir perdu en plein milieu. Si mon obsession pour Jérôme (échaudée depuis l'annonce de sa future paternité, tout de même) n'était pas de notoriété publique, je suis sûre que certains se plaieraient même à bavasser que je suis lesbienne... 

Malheureusement, avec la famille, c’est pareil. A vrai dire, c’est même pire.

Eux aussi sont tous en binôme, évidemment, pour le meilleur mais aussi pour le pire. C’est effrayant de constater comment certaines personnes sont prêtes à être tout par peur de la solitude ou pour éviter le rejet de la société, se fondre dans la masse, rentrer dans ce fameux moule, au prix de douloureuses contorsions et concessions.

Comme ma cousine Gladys, par exemple. Elle fait partie de ces personnes superficielles qui préfèreraient mourir dépecées vivantes par Hannibal le Cannibale plutôt que rester seules plus de quinze jours d’affilée. Alors elle sort avec n’importe qui, du moment qu’il accepte de vivre avec elle dans la semaine qui suit leur premier rendez-vous. Son dernier copain en date s’appelle Stéphane. Une bonne dégaine de playboy, une conversation aussi profonde qu’un cours d’eau dans le Sahara en temps de grande sècheresse. Peu importe, tant qu’elle ne porte pas la honteuse bosse du célibat sur ses épaules, Gladys est prête à tout. (En plus, c’est pas pour être méchante, mais elle non plus, elle a pas inventé la poudre.)

Trois envies de meurtre plus tard – la dernière contre la femme de mon oncle Pilou, qui vient de me poser LA question tant redoutée par toutes les trentenaires célibataires, mais que toutes les femmes mariées et déjà mères de huit enfants se font un plaisir de poser, par pur sadisme, évidemment « Alors, Myriam, quand est-ce que tu nous fais un petit, toi aussi ? », à laquelle j’ai répondu (dans ma tête, bien sûr) « Et toi, Jeanette, quand est-ce que tu t’occupes de ton lifting de la langue, vielle peau ? » - je vais me refugier dans la cuisine auprès de ma tante Agnès. C’est la sœur de mon père, et je l’ai toujours considérée comme ma deuxième maman.

- Eh ben, ma puce, me lance-t-elle, tout en coupant le pain avec rapidité et précision, ça n’a pas l’air d’aller…

- Cette réunion de famille est un cauchemar, soufflai-je en m’adossant contre le réfrigérateur. J’ai l’impression de jouer dans « Alien, le trente-troisième passager », avec moi dans le rôle-titre.

- Mmm… Dur dur, d’être seule, hein ? Mais tu ne vois pas quelqu’un en ce moment ?

- Ah ça ! m’exclamai-je en repensant à Benoît, garçon rencontré via ce merveilleux outil qu’est internet il y a environ deux mois. Pour se voir, on s’est vu… Mais on n’a jamais dépassé le stade du contact visuel, justement. Ca n'a pas non plus marché avec Aurélien, ni avec Kevin, ni avec Alex… (j’omets volontairement de lui préciser qu’avec eux, j’ai tout de même largement dépassé le stade de la partie de scrabble, ce qui ne m'a rien apporté de plus, au contraire, je dois bien l'admettre). Je sais pas, tatie… C’est tellement facile de rencontrer du monde, mais trouver la bonne personne, celle qui fait battre notre cœur, celle qui nous fait sourire quand on pense à elle, celle avec qui tout semble facile… C’est de suite plus difficile.

- Tu sais, ma fille, me dit-elle sur un ton grave, interrompant son maniement intensif du couteau à pain, le Grand Amour, tout ça, ça ne produit que dans les films. J’ai épousé Michel à vingt-six ans. A l’époque, c’était très tard pour une fille. A un moment, il a fallu que je me décide, parce que porter cette étiquette de « vieille fille », ça n’était plus possible. Et je n’ai pas été malheureuse. Michel est adorable. J’ai bien vécu, je n’ai jamais manqué de rien. J’ai eu des enfants, une belle maison, tout ce qu’on peut espérer de la vie.

Après quelques secondes de suffocation mentale – je m’attendais à tout sauf à ça de la part de cette femme pourtant intelligente et sachant vivre avec son temps -, je parviens à m’insurger :

- Mais c’est horrible, ce que tu me dis ! Tu as épousé un homme que tu n’aimais pas ! Tu n’as peut-être pas été malheureuse , mais tu n’as pas dû être heureuse non plus… C’est affreux de passer sa vie avec quelqu’un qu’on n’aime pas ! Et tu es en train de me suggérer de faire comme toi ?!

- C’est à toi de voir, Myriam, me lance-t-elle sèchement avant de sortir, la panière de pain à la main : soit tu rentres dans les rangs, soit tu assumes ta situation sans te plaindre. Ca n’est pas de ma faute si tu es difficile.

Je reste collée au frigo, sidérée et déçue par sa réaction. C’est à ce moment-là qu’entre le petit Romain, huit ans. Il se plante devant moi et me lance, comme s’il me demandait de lui passer le sel :

- Eh, Myriam, , comme t’as pas d’amoureux , Stéphane m’a demandé de te demander si tu voulais devenir bonne sœur ou si tu aimais les femmes ou les animaux.

Mon sang ne fait qu’un tour. Ni une ni deux, je m’en vais rejoindre le reste des convives et file directement en direction de Stéphane, le playboy abruti et lâche de ma cousine. Il me regarde arriver vers lui en pouffant de rire. J’attrape une bouteille d’eau glacée en passant et renverse intégralement son contenu sur sa tête luisante de gel, ce qui a pour effets :

1- de ne plus le faire rire du tout

2- de capter l’attention de tout le monde

Je réponds alors à la question qu’il m’a posée par l’intermédiaire du petit Romain :

- Les trois en même temps s’il le faut, plutôt que de m’accoupler avec un gros débile comme toi ne serai-ce qu’une seule fois dans ma vie.

Puis je lance un regard aussi noir que le charbon au reste de la famille - qui ne comprend rien à la scène - tourne les talons et quitte la petite réunion. Mémé Nénette ne s’apercevra de rien, ça fait déjà une heure qu’elle est partie faire la sieste.

Même le jour où j’ai fait un tonneau en voiture, où un clochard m’a vomi dessus dans la salle d’attente des urgences et où l’interne a oublié de m’anesthésier avant de me recoudre l’arcade suite à l’accident, j’ai passé une meilleure journée. Je ne suis pas près de remettre mon nez dans une réunion de famille. Je crois même que si je me coupais de toute vie sociale, ça serait bien plus salutaire.  

 

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  • : Les nouvelles d'Helene
  • : Les nouvelles d'Hélène, c'est Ma Vie de Rêve, les aventures de Myriam et de son entourage dans la dure réalité de la vraie vie d'adulte, mais ce sont aussi d'autres nouvelles que j'ai écrites ou vais écrire, dans d'autres genres. Bonne lecture !
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