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11 octobre 2012 4 11 /10 /octobre /2012 11:19

Les aventures de Myriam et de ses amis ne sont pas terminées, juste en stand-by... Merci pour votre patience, et à bientôt !

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8 juillet 2012 7 08 /07 /juillet /2012 19:35

Mercredi 12 septembre 2012. Midi.

 

 

Tout aurait pu s’arrêter là.

Mais, alors que je viens juste de sortir de l’immeuble, toujours nauséeuse après cette rencontre si désagréable, la sonnerie SMS de mon portable retentit. C’est un numéro que je n’ai pas dans mon répertoire.

« Chère et belle future collègue, que diriez-vous de discuter de notre collaboration autour d’un verre ce soir ? Yannick Ferrer ».

Il a dû trouver mon numéro sur mon CV, dans le bureau de la DRH. J’accepte sans hésiter : en dépit du dégoût que m’inspire ce tête-à-tête, cela risque de se révéler intéressant.  Nous nous donnons rendez-vous à 20 heures dans un bar branché non loin de la Défense.

Il m’embrasse à la sortie du restaurant japonais dans lequel nous avions décidé de continuer la conversation. Son baiser se veut direct, insistant et étouffant, à l’image de son attitude envers moi depuis le début de la soirée. Son haleine empeste le tabac. J’ai l’impression qu’il essaie de nettoyer l’intérieur de ma bouche avec sa langue. Aucune finesse, aucune tendresse. Il me dégoûte. Ses mains malaxent mes seins comme si nous étions seuls sur ce trottoir. Il me plaque contre le mur et se colle à moi brusquement, frottant son membre excité contre ma jupe. J’ai envie de le gifler et de partir en courant.

Mais je tiens bon, et le suis chez lui.

Nous ne sommes même pas encore dans son appartement que sa braguette est déjà ouverte, et sa main sous mon soutien-gorge.

Pour couronner le tout, il m’arrose de phrases vulgaires, probablement apprises lors de ses nombreuses séances de visionnage de films pornos. Il est tellement excité qu’il ne s’est même pas rendu compte – ou n’a pas voulu se rendre compte, parce que le bien-être de sa partenaire semble être le dernier de ses soucis – que je ne peux m’empêcher de le repousser timidement, et que j’affiche un rictus écoeuré depuis qu’il m’a embrassée à la sortie du restaurant. Mais j’irai jusqu’au bout.

Il me jette sur son lit et s’allonge sur moi. Le reste de l’acte est à son image : brutal, bestial et dégradant. A la fin, j’ai envie de pleurer. Et, en même temps, je ne me suis jamais sentie aussi heureuse.

 

****

 

Mercredi 12 septembre 2012. 9h50.

 

Dans dix minutes, j’ai l’entretien d’embauche de ma vie ! J’en ai tellement rêvé, de ce poste de chef de produit. Lassée de mon travail actuel en agence, ça faisait des mois que je scrutais les annonces d’emploi tous les jours. Puis, la semaine dernière, miracle ! Un poste de chef de produit junior s’ouvre enfin chez TravelHome, le tour operator n°1 sur le marché, avec pignon sur rue. J’ai postulé, et ils m’ont appelée !

Et maintenant, impossible de trouver une place de parking !

Tant pis pour la contravention : je me gare sur un trottoir, et je fonce vers l’immeuble de TravelHome. A bout de souffle, je déboule dans le hall d’entrée. Trop tard pour éviter le jeune homme qui arrivait dans ma direction.

Le choc est assez brutal. Le verre d’eau qu’il tenait dans la main s’est entièrement renversé sur sa chemise blanche. Je me confonds en excuses.

- Ne vous inquiétez pas, plaisante-t-il, ce n’est que de l’eau !

Il doit avoir mon âge. Il est plutôt pas mal. Un peu trop mince à mon goût, très grand et avec un visage anguleux à la fois doux et sûr de lui. A vrai dire, il me rappelle quelqu’un. Oui, c’est sûr, je le connais.

- Vous avez rendez-vous, je suppose ? me lance-t-il d’un air taquin.

Ses yeux me dévisagent, me dévorent presque. Sa pupille est complètement dilatée.

- Euh, oui, à dix heures.

- Alors je ne vous retarde pas plus. La jeune fille à l’accueil va vous renseigner. Bonne journée.

Son attitude se veut très maîtrisée, mais c’est évident que je lui plais. Il me plaît aussi, mais, en même temps, je ne peux pas m’empêcher d’éprouver une forte antipathie à son égard.

La standardiste m’indique le bureau de la DRH. L’entretien se passe bien. Le feeling passe entre nous, et elle me fait comprendre à demi-mot que j’ai toutes mes chances. Pour me le prouver, elle m’emmène visiter « l’open space dans lequel vous… je veux dire, le ou la future chef de produit s’installera en attendant d’avoir un bureau à lui ou elle toute seule, à la fin des travaux d’agrandissement. »

Mon regard croise alors à nouveau celui du jeune homme que j’ai percuté à mon arrivée.

- Je vous présente Yannick Ferrer, m’indique-t-elle tout en s’avançant vers lui. C’est le chef de produit « Amérique ». Si vous êtes engagée, vous serez souvent amenés à travailler ensemble.

C’est donc lui. Je suis prise d’une soudaine bouffée de chaleur haineuse, mais ne laisse rien paraître, et lui serre la main tout en lui rendant le sourire poli et courtois qu’il m’adresse.

- Yannick, voici Sandra Cheminade, embraye la DRH. Elle postule en tant que chef de produit « Asie ».

- Enchanté, me dit-il, peinant pour ne pas plonger ses yeux dans mon décolleté.

Il ne semble ni m’avoir reconnue, ni même se souvenir de mon nom.

J’ai envie de vomir.

- Enchantée, lui répondis-je, impassible, avant de poursuivre ma visite avec la DRH.

 

****

 

Mardi 10 octobre 1992. 12h30

 

Je me suis fait de nouveaux amis au collège. Petit à petit, l’école primaire et mon instituteur se sont estompés, et je les ai rangés dans un coin de mon cerveau. Cela fait un mois que la rentrée a eu lieu, et je me sens bien dans mon nouvel environnement.

Je marche sous le préau en direction de Nathalie, ma nouvelle meilleure copine. Nathalie est très jolie. Elle a même déjà fait des photos pour un catalogue de vente de vêtements par correspondance. Je l’aime bien, Nathalie.

Elle est en train de parler avec Yannick Ferrer, un garçon d’une autre classe. Ses copains sont à quelques mètres de lui, ils sourient un peu bêtement. Ils ont l’air de l’admirer. Pourtant, contrairement à Nathalie, il n’est vraiment pas beau ! Il porte un appareil dentaire, ses yeux sont trop écartés et ses cheveux sont gras.

J’arrive à la hauteur de Nathalie et Yannick. Ma présence interrompt leur conversation, ce que le garçon ne semble pas apprécier. Il me toise de bas eu haut, avant de s’écrier :

- Oh, le cageot ! Comment t’es trop moche ! Nathalie, comment tu fais pour traîner avec ça ? Elle est moche, et en plus elle est grosse !

La gifle est terrassante. Je me retrouve sans voix devant lui et ses copains, hilares, qui renchérissent :

- Hey, Sandra, ta mère, c’est pas Maïté ?

- Ouais, et ton père, c’est Allien !

Je lutte tant que je peux, mais je sens de grosses larmes perler le long de mes joues.

Ferrer me lance alors :

- Putain, c’est impossible qu’un mec veuille sortir avec toi un jour ! Tu vas rester une grosse pucelle toute ta vie !

Nouveau rire collectif. Nathalie semble partagée entre l’envie de rire avec eux, parce que ça fait cool, et celle de prendre ma défense. Elle ne rit pas, mais ne dit rien non plus. Elle semble juste avoir pitié pour moi.

Ils s’éloignent alors, baignant dans l’euphorie la plus totale, se tapant dans la main.

Je n’ai jamais autant haï quelqu’un qu’à cet instant précis.

 

****

 

Lundi 3 septembre 1992. 7h50

 

Aujourd’hui, c’est la rentrée. Je passe en sixième. D’une petite école de quartier dans laquelle j’avais pleins d’amis, je me retrouve dans ce grand collège où je ne connais presque personne.

J’ai très mal au ventre. Maman, ma belle maman si douce et si souriante, cette maman à laquelle je ressemble si peu, est émue. Nous cheminons main dans la main sur ce trottoir que j’emprunterai désormais chaque jour pendant quatre ans. Arrivées à un coin de rue, elle tente doucement de se dégager. Je refuse de la lâcher.

- Je vais te laisser là, me dit-elle calmement, sentant ma réticence libérer sa main de la mienne.  Si tu arrives avec moi devant le collège, tous les autres vont se ficher de toi.

Je ne comprends pas. Quel mal y a-t-il à aimer sa maman, et à se montrer avec elle ?

Elle parvient à détacher ma main de la sienne, et, les larmes aux yeux, répond à ma question silencieuse. Elle me connaît si bien.

- Aujourd’hui, ma petite Sandra, tu rentres dans le monde des grands.  Les règles changent, il faudra que tu sois forte. Tu devras apprendre à te débrouiller toute seule. Une nouvelle vie commence, ma puce.

Puis elle me serre fort dans ses bras, et me regarde disparaître au coin de la rue.

Je ne me sens pas prête, mais je n’ai pas le choix.

 

****

 

Mercredi 12 septembre 2012. 23h39

 

Alors qu’il git sur le lit, prêt à sombrer dans le profond sommeil des vainqueurs, je me lève et me dirige dans le salon. Je reviens dans la chambre avec mon sac à mains.

- Tu ne te souviens donc vraiment pas de moi ? lui demandai-je, debout au pied du lit.

- Euh, non, pourquoi ? On a déjà couché ensemble ?

J’affiche alors un sourire dépité, tout en m’asseyant sur le lit.

- Tu as oublié tes années collège ?

- Non, non… Mais, attends, tu veux quoi, à la fin ?

- Moi, je ne t’ai pourtant jamais oublié. Tu as ruiné les quatre ans que j’ai passé là-bas. Si je te dis « Monster Munch », ça ne te dit toujours rien ?

Il pâlit.

- C’est pas possible. Tu as trop changé, ça n’est pas toi…

- Tu m’as vite oubliée, mais moi, j’ai dû vivre toute ma vie avec ce que tu m’as fait subir ! Les humiliations incessantes, les attouchements dans les toilettes, les crachats dans mes assiettes à la cantine. J’y ai pensé tous les jours pendant des années. Et, alors que je pensais t’avoir oublié, voilà que nos chemins se croisent à nouveau.

- Attends, c’était il y a vingt ans ! J’étais un gamin !

- La première fois que tu t’en es pris à moi, tu m’as dit que jamais personne ne voudrait de moi ! Et te revoilà, vingt ans plus tard, à me sauter comme un gros porc !

- Mais t’es vraiment malade !

- Oui, Yannick, tu as raison, je suis malade ; malheureusement pour toi, dans la hâte de l’instant, tu n’as pas jugé utile de prendre des précautions avec moi. Et moi, comme l’autre avant toi, je n’ai absolument pas pensé à te faire part de ce petit détail.

Je sors alors de mon sac un papier, et le pose sur le lit. Tremblant, il attrape la feuille et la lit.

Il s’agit du résultat de mon test VIH. Positif.  

Je me relève alors, et le laisse agoniser de peur dans sa chambre.

 

****

 

Maintenant, ma vie peut commencer.

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21 juin 2012 4 21 /06 /juin /2012 18:19

En miroir de ma MVDR 9, j'ai eu le plaisir de recevoir cette nouvelle, écrite par un lecteur anonyme. Avec son accord, je vous la fais partager. J'espère que vous l'appécierez autant que moi. Merci encore D.D.

 

Hélène

 

 

Quel con, quel con, mais quel con !!! Mais pourquoi je lui ai donné toute l’herbe !
Maintenant, je n’ai plus qu’à redemander à Thomas qu’il me ramène encore un sachet ! Et si cela arrive aux oreilles de sa mère, je suis foutu. Son avocat va me mettre en pièces et je vais devoir vendre la maison. Je fumais trop ? oui et alors, elle s’est demandé pourquoi je fumais trop ? Et elle me trompe avec le père de Lucie, la copine de Thomas….

Mais qu’est ce qui m’a pris, pourquoi je me suis énervé avec cette patiente !!
Comment elle s’appelle déjà ? Myriam, Myriam comment ? je sais même pas…
J’en ai vu des centaines de cas comme elle. Jeune trentenaire solitaire, qui s’est fait larguer par son mec, qui voit son horloge biologique tourner et qui vient consulter parce que ‘sa vie sentimentale part en vrille’…Encore une que son environnement extérieur a fini par convaincre qu’elle était anormale et qu’elle avait un grave problème…

Elle me raconte sa vie et j’enchaîne ensuite avec mon questionnaire classique :
- Quelle est votre vertu préférée ?
- Euh je sais pas… Le besoin d’être aimée
Au moins elle compris la question, ça commence bien.

- Quelle est votre principal défaut ?
- Mon principal défaut ?...euh ben…Ne pas savoir ce que je veux
- Continuez
- C’est ce que l’on dit de moi, mais justement je sais ce que je veux ! je fais des efforts, je rencontre des personnes sur Meetic
Meetic…Aujourd’hui, on se rencontre sur le net sans se connaître, on se fait des amis illico presto, on se dit ‘je t’aime’ par mail et on se quitte par sms. Tu m’étonnes qu’elle ne trouve pas ce qu’elle cherche !

- Quelle est la performance artistique que vous préférez ?
- Euh…Gunther Love au championnat de France d’air guitar en 2009!
- Air guitar ?
- C’est une activité qui consiste à mimer le geste d’un guitariste sans instrument,
- Hum, hum, continuez,
- C’est un fou furieux, il a assuré, il est devenu champion du monde ! Il y a aussi Eva Gina Runner, elle était seconde…
- Hum, on va revenir à votre personnalité… Quelle serait votre plus grand malheur ?
- Euh, comme tout le monde, ne pas avoir connu mes parents…

- Comment vous aimeriez mourir ?
- Aimée !
Rien d’anormal dans son comportement, elle est intelligente, équilibrée, elle a du caractère. Elle a dû venir à reculons car on lui a conseillé de consulter…

- Quel est votre état d’esprit actuel ?
- Ennuyée par vos questions !

Et c’est là que j’ai craqué, je l’ai envoyé promener avec tout le paquet d’herbe !
Je n’en peux plus, il faut que j’y aille.

Marc Trousseau attrape les clefs de sa dernière voiture - un 4*4 Bmw - ainsi que son veston et quitte son bureau précipitamment. Il marque un temps d’arrêt devant le bureau de sa secrétaire :
- Laurence, j’ai un contre-temps, il faut que je parte tout de suite !
- Mais vous avez encore un rendez-vous avec Mr Serignac !
- Reportez Laurence, plus tard, plus tard.

Marc sort de son cabinet au pas de course, déverrouille sa voiture à distance et entre dedans.
Il démarre, le moteur vrombit et la sono high-tech diffuse le concerto n°4 - l’hiver-  des 4 saisons de Vivaldi.
La voiture, quitte le tumulte de la ville à toute vitesse et Marc se dirige vers son village natal, une petite bourgade du sud-ouest de la France.
Marc se gare au plus près de la grille du cimetière. Enfin, le moment qu’il attend depuis un an !
Il marche vers le caveau familial. Le bruit de ses pas sur le gravier des allées résonne dans le silence et la quiétude du cimetière.
Il est déjà devant le caveau.
Tous les 17 juin depuis 33ans, il vient parler à son frère jumeau Michel disparu dans un accident de la route alors qu’il avait 18 ans.
De ce jour particulier, Marc se souvient du moindre détail. Le maire du village encadré par deux gendarmes sur le pas de la porte. Son père effondré revenant de la morgue où il avait identifié officiellement le corps de son fils. Il y a eu ensuite la descente aux enfers, la douleur, la solitude. Et puis, Marc s’en est sorti de lui-même, sans l’aide de ce psychologue qu’il voyait et qui ne pouvait pas comprendre sa douleur.

Après un long moment, Marc sortit du cimetière, détendu, apaisé par ce moment passé auprès de son frère. Il repensa soudain au sachet d’herbe, à Thomas, à sa femme.
Comment récupérer ce sachet ?
Promis, demain, il rappelle Myriam ‘Günther love’ pour lui dire que, finalement, son cas était assez sérieux et qu’il nécessitait un suivi régulier…

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12 juin 2012 2 12 /06 /juin /2012 23:12

- Continuez…

Voilà. Dix ans d’études supérieures pointues. Des centaines de cas rarissimes, écoeurants, déchirants, passionnants. La moitié de sa vie le nez dans les bouquins, et l’autre à l’hosto. La remise des diplômes. Sa propre plaque dorée, scellée à un mur. Des patients qui vous appellent « Docteur » en osant à peine vous regarder dans les yeux tellement votre allure se veut imposante, tellement vous avez l’air sûr de vous. Ces mêmes patients, en détresse, au bord du suicide parfois, qui viennent vous voir en nourrissant l’espoir fou que vous, grand manitou du psychique, allez les aider à sortir du gouffre dans lequel ils ne cessent de tomber depuis des années. Et les chèques exorbitants qu’ils vous signent avant de quitter votre cabinet, le cœur un peu plus léger qu’en y entrant – comme leur porte-monnaie.

Tout ça, pour balancer un seul, unique et constant putain de « Continuez » à la fin de toutes les phrases de vos patients ! Mais si c’est pour faire ça, moi aussi, je peux le faire ! Moi aussi, je peux faire semblant d’écouter la vie insignifiante de Monsieur et Madame Tout Le Monde, le regard faussement compatissant, en hochant la tête de temps et temps, façon teckel en plastoque sur la plage arrière des voitures ! Mon job est mille fois plus compliqué, et je ne suis pas payée cinquante euros la demi-heure !

Ma vie sentimentale est tellement dramatiquement insignifiante que j’en ai tiré la conclusion que j’ai un problème. Un grave problème. Nelly m’a donc conseillé le Docteur Trousseau, psychiatre de renom quiquagénaire, bedonnant, l'air hyper coincé, et ami de ses parents.

Je lui raconte donc ma vie, en essayant de faire abstraction de ses regards qui tentent sans grand résultat de cacher l’ennui profond qu’elle lui inspire.

- Vous comprenez, pleurnichai-je, j’essaie de faire des efforts ! J’ai rencontré des dizaines de garçons sur internet. J’ai bu des centaines de verres avec eux. J’ai raconté ma vie quinze milliards de fois ! Ils étaient tous… gentils. Voilà, c’est ça, ils étaient tous gentils, mais c’est tout ! L’amour, c’est une question d’hormones, non ? On n’est rien de plus que des animaux qui réagissent ou pas aux phéromones dégagées par le sexe opposé !

Oui, je me suis beaucoup documentée sur la question…

- Tout le monde me dit « Mais Myriam, t’es mignonne, pourtant ; je ne comprend pas que tu sois toujours célibataire ! » « Machin n’a personne, et tu t’entend bien avec lui, non ? Alors pourquoi tu ne sors pas avec lui ? ». Mais c’est pas parce que deux personnes sont célibataires qu’elles doivent forcement être attirées l’une vers l’autre ! Moi, je veux avoir des papillons dans le ventre, je veux penser à lui en souriant bêtement, en écoutant une chanson… Je ne peux pas me forcer ! Je ne peux pas ! Docteur, c’est quoi, mon problème ?

- Continuez…

- Heu… Mais… Vous ne répondez jamais aux questions qu’on vous pose ?

- Le but de la thérapie est que vous y répondiez vous-même. Continuez…

Ah… Sinon, hier soir, j’avais envie de merguez… Est-ce que je dois en conclure que je suis bêtement en manque de sexe, ou bien que je suis en train de me convertir à l’islam malgré moi, hein, Ducon ? Si je déplie un petit tapis et que je commence à prier, ou si je monte sur ton bureau et que je danse la macarena au son d’un de tes CD de Vivaldi ou de Mozart, juste parce que ça m’aide à trouver la réponse à mes questions, tu vas aussi me dire de continuer ? Ou si je me barre sans t’avoir signé un joli chèque – dont seulement une partie me sera remboursée par la Sécu comme tu pratiques des dépassements d’honoraires – tu vas aussi me dire de continuer ? Hein ? Hein ?

- Vous êtes soumis au secret professionnel, non ?

- Oui.

- Je fume de l’herbe. Je suis un peu une rebelle, quoi… D’habitude on s’y met à l’adolescence, pour embêter les parents. Moi, je m’y suis mise récemment. Quand j’étais ado, j’étais aussi désobéissante qu’une bonne sœur… Jamais un mot plus haut que l’autre, jamais d’acte démesuré. J’ai jamais fait le mur, pas un seul piercing…L’ado rêvé, quoi… Mais là, ma vie craint tellement que mon cerveau rationnel n’a pas pu résister. L’autre soir, on fumait sur la plage avec mes deux meilleurs amis, et j’ai failli nous faire pincer par des flics qui passaient par-là. Heureusement, le gars qu’ils recherchaient vraiment est arrivé, et ils sont partis après lui.

Le docteur a l’air de se décomposer. Un peu comme si je venais de lui annoncer que son chien était décédé.

- Docteur, vous vous sentez bien ?

- Non, s’écrie-t-il tout en fondant en larmes. Non, je ne vais pas bien !

Il pleure désormais à chaudes larmes. Je suis partagée entre l’envie de le consoler et celle de m’enfuir par la fenêtre. Non, tout bien réfléchi, je ne suis pas le moins du monde partagée : je crève d’envie de partir en courant, point. Interdite, je le regarde agoniser. Je n’ose même pas bouger le sourcil.

Soudain, il ouvre violemment le tiroir à sa gauche et jette un petit sac en plastique transparent sur son bureau Louis XVI. Mais, je rêve ? C’est de la beuh !

- Je vous en supplie, crie-t-il, prenez tout !

- Quoi ? Mais, heu, pourquoi ?

- Moi aussi, je détestais ma vie ! Passer ses journées à écouter les autres geindre, raconter leurs problèmes insignifiants de bourgeois modernes, leurs pseudo tentatives de suicide ratées, leur vie sexuelle déviante ! J’en pouvais plus, vous comprenez ! Vous allez me dire, j’aurais pu me shooter au Lexomil, c’est légal, au moins…

En réalité, je n’ai rien envie de dire. J’ai juste envie de me barrer.

- Mais, justement, continue-t-il en remplissant son centième mouchoir, avec l’herbe, il y a l’excitation de l’interdit ! Ca donnait du piment dans ma vie !

Il s’interrompt pour reprendre sa respiration, puis remet ça.

- C’est comme vous, là, avec vos soi-disant problèmes relationnels de merde !

Me faire insulter par un psy qui se fait payer la peau du cul, ça, c’est fait.

- Vous vous rendez compte de la dimension débile de votre présence ici ? Vous croyez que vous avez un problème ! Mais, il n’y a aucun putain de problème dans votre putain de vie ! Tout le monde n’est pas programmé pour trouver l’âme sœur à vingt piges, c’est tout ! On n’est pas des machines, merde !

Il s’interrompt à nouveau. Pour pleurer plus et plus fort. Son visage disparaît dans la montagne de Kleenex usagés qui grandit à vue d’œil devant lui.

- Je fumais trop ! Je m’étais mis à parler comme les ados que je reçois, j’avais tout le temps sommeil, je  n’étais plus bon à rien au lit, vous vous rendez compte ? Alors ma femme m’a quitté, en me traitant de dégénéré !

Un ange passe. Maman, je veux sortir !

- Je dois arrêter ! Il faut que j’arrête ! Je vous en supplie, prenez cette herbe ! Fumez-la, revendez-la, faites-en ce que vous voulez, mais débarrassez m’en !

Il pousse le paquet vers moi.

- Tenez, c’est cadeau.

- Merci…

- La consultation aussi, je vous l’offre. Mais, s’il-vous-plaît, ne revenez plus me voir.  N’allez plus voir de psychiatre, d’ailleurs ; vous n’en avez pas besoin. La seule chose qu’il vous faut, c’est une bonne dose de patience.

Sans mot dire, je prends le petit paquet et le glisse dans mon sac. J’esquisse ce qui se veut être un sourire compatissant. En réalité, je dois plutôt ressembler à la fille la plus constipée de l’univers. Et je quitte la pièce, presque en courant, le laissant écroulé sur son bureau.

C’est décidé : les psys, j’arrête. La beuh, par contre, après cette séance, je ne suis pas près de laisser tomber. Je vais même m’en faire une petite dose par intraveineuse, tiens. 

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16 mars 2012 5 16 /03 /mars /2012 19:29

Quand on est déprimé, quand sa vie part en live total, quand notre seule ambition est de tenir une journée complète (soirée inclue) sans solliciter une seule fois ses canaux lacrymaux, il nous reste quand même l’essentiel. Et l’essentiel, surtout dans ces moments-là, c’est les amis.

Les vrais amis sont toujours là pour vous, patients, à l’écoute, même quand vous êtes en mode «gros gros boulet» et que vous leur radotez pour la millième fois la même histoire ou que vous tentez d’analyser pour la milliardième fois le texto de rupture - pourtant limpide - que vous a envoyé votre dernier connard en date. Oui, car, c’est maintenant pour moi une certitude : tous les mecs qui me plaisent sont de gros connards («jerks» pour les anglophones).  Et, heureusement, mes amis sont là pour me conforter dans cette idée.

Je suis donc en mode «à bas les connards» avec Nelly et Fred, mes meilleurs amis. Il est près de minuit, nous sommes assis sur la plage de Biarritz, il doit faire -60°C, et nous en voulons à la Terre entière. Le suicide collectif est imminent. Avant de mourir - ou pour nous donner du courage - nous allons fumer le calumet des amis (Nelly a piqué de la beuh à son drogué de copain, au péril de sa vie).

- A la tienne, Ben ! lance-t-elle amèrement, tout en l’allumant avec volupté, comme s’il s’agissait de la plus délicate des cigarettes.

Elle tire plusieurs lattes avant de me le passer.

- Je ne comprend pas ce que tu fais avec lui, lui dis-je, tout en me droguant à mon tour. Franchement, tu mérites mieux.

- Ouais, mais n’oublie pas que c’est tous des connards, de toute façon, réplique-t-elle tout en s’allongeant sur le sable.

- C’est vrai, remarque, tu gagneras pas au change... Mais pourquoi vous êtes si cons ? demandai-je à Fred tout en lui tendant le joint.

- Moi, je suis pas un connard ! répond-t-il, vexé. Je suis justement trop bien pour que les filles s’intéressent à moi...

- Ouais, les mecs biens, on n’en veut pas... On est super maso, en fait, réplique Nelly.

Les mecs biens, ils sont pas assez sexy... lançai-je avant de m’écrouler à mon tour. Traite les filles comme de la merde, et tu verras, elles te mangeront dans la main... Ou ailleurs...

Fred, c’est un mec en or : mignon, avec un cœur gros comme ça, mais en porcelaine. Il manque de confiance en lui, donc les filles (enfin, les «femmes» devrais-je dire, car on a trente ans maintenant...) ne le regardent même pas. On préfère les gros connards. Et quand tous les mecs bien sont casés - parce qu'il y a toujours des filles plus intelligentes que la moyenne qui ont conscience du potentiel de bonheur en barre qu'ils repésentent - on pleure car il ne nous reste que les déchêts. Et c'est pareil dans l'autre sens. Mais que l'être humain peut être con...

Petite minute de silence. Puis soudain, Nelly parle :

Mon prof de salsa m’a embrassée.

 Je me redresse.

 - Quoi ??? Mais quand ? Comment ? Avec la langue, et tout ?

- Hier soir, après le cours. On a un peu discuté, puis, au moment de se dire au revoir, il m’a attrapée par la taille et…

- Et quoi ??? hurlai-je, tellement j’en peux plus de savoir.

- Ben, il lui a roulé une grosse galoche, tiens, lance Fred, amer.

- Oui, enfin, j’aurais pas dit ça comme ça, mais c’est assez bien résumé.

L’hystérie me gagne.

- Je veux tous les détails ! Il t’a plaquée contre le mur ? Il t’a arraché ton tee-shirt avec les dents ? Tu as eu plusieurs orgasmes successifs ??? Mais vas-y, raconte !

Nelly et Fred me regardent en silence, d’un air blasé. De toute évidence, l’herbe n’a pas le même effet sur eux que sur moi.

- Myriam, j’ai dit qu’il m’avait embrassée, c’est tout, répond enfin mon amie.

Et Fred de rajouter :

- Si tu pouvais éviter de prendre tes fantasmes pour la réalité…

Je ne rétorque rien, piquée au vif, et déçue. Un mec aussi beau qui se contente de vous embrasser, c’est comme devoir se contenter de l’entrée quand on meurt de faim et qu’on s’attend à un repas complet.

Nelly poursuit, entre deux lattes.

- C’était super… Comme dans un film… Mais…

- Mais tu te sens coupable, rétorque Fred, pour finir sa phrase.

- C’est ça. Ca ne va peut-être pas bien avec Ben, mais c’est quand même pas réglo…

- Il est réglo, lui, quand il te laisse tomber pour fumer tout ce qui bouge avec ses potes ? Et qu’il te parle comme à une merde ? m’écriai-je. Il n’a que ce qu’il mérite ! C’est d’ailleurs pour ça que t’aurais dû aller plus loin avec Manuel… Tant qu’à faire…

Plus personne ne parle. Nous nous contentons de regarder les étoiles, bercés par la douce mélodie des vagues s’échouant sur le rivage.

- Je vous aime, les amis, sanglotai-je soudain. Sans rire, si je ne vous avais pas, je ne sais pas ce que je ferais.

- Elle est stone, se contente de dire Fred à Nelly.

Aucun de deux ne semble touché par ma déclaration. Ni par mes larmes.

- Arrête, Fred, m’écriai-je, blessée. Je plane peut-être, mais je suis sincère ! Sans vous, je me serais déjà noyée au moins dix fois de désespoir…

- Moi aussi, je t’aime, ma poulette, répond alors Nelly, un peu contrainte et forcée quand même. Mais je te promets que ta vie serait mille fois meilleure si tu arrêtais de baver devant ce Jérôme (elle siffle son prénom comme si c’était douloureux pour elle de le dire à voix haute). Oublie-le ! Il est marié et il va avoir un gamin !

- Pourquoi tu ne changes pas de boîte ? s’aventure alors Fred. Ca serait bien plus facile pour toi de le zapper si tu ne le voyais pas tous les jours.

Je me lève alors – du moins, je fais de mon mieux – et m’éloigne d’eux en titubant.

- Mais, Myriam, où tu vas ? demande Nelly.

Je me retourne vers eux, digne, et répond d’un ton aussi solennel que possible vu mon état :

- Je me suis trompée : vous ne me comprenez pas, vous n’êtes pas mes amis ! Je ne peux pas oublier Jérôme, jamais !

- Oui, bon, d’accord, on a abusé, lance Fred, qui semble en avoir un peu marre de mes enfantillages. Mais tu comptes aller où, comme ça ?

- J’ai besoin d’être seule. Pour réfléchir. Je suis… malheureuse, je… brlgrrbrrm

En fait, j’ai peut-être besoin de m’isoler pour décéder tranquille d’une overdose de cannabis... Les oiseaux se cachent bien pour mourir, alors pourquoi pas moi ? Tiens, d’ailleurs, ça me donne envie de crier mon désarroi.

- Je suis un oiseau ! hurlai-je, tout en essayant d’imiter un battement d’ailes. Je vais m’envoler loiiiiiiin des connards !

Oui, bon, j’ai plus l’air d’une guenon en perdition que d’un gracieux oiseau porté par le vent, mais, sur le moment, je ne m’en rends pas compte.

Je m’arrête devant deux hommes qui me regardent avec amusement.

- Quoi ? leur lançai-je. Vous pouvez vous moquer de moi, j’en ai rien à foutre ! C’est pas ma faute, c’est la faute à Nelly, ma copine là-bas. Elle avait un peu d’herbe sur elle et on l’a toute fumée ! Et comme on ne fume jamais…

Je me marre toute seule.

- D’ailleurs, vous n’en avez pas un peu à me donner, là ? Hein ? Ou à me vendre ?

Les deux hommes se regardent. Ils ne sourient plus.

- Vos papiers, s’il-vous-plaît, Mademoiselle, me demande alors le plus vieux d’un air grave.

Je me marre encore plus et réponds, entre deux pouffages de rire :

- Ouais, c’est ça, vous êtes des flics, mais sans uniforme ! Bien tenté, les mecs !

- Exactement, réplique-t-il en sortant son insigne. Police judiciaire. J’ai dit : vos papiers !

 Et si je creusais un trou dans le sable et que je m’y enterrais vivante ????

                                                                       copyrightfrance-logo13.gif

 

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15 février 2012 3 15 /02 /février /2012 20:01

Je suis euphorique ! Ce soir, je vais boire un verre avec Jérôme ! Je le revois encore me demander ça, l’air penaud, devant la machine à café « Myriam, ça te dirait qu’on aille se boire un verre après le boulot, comme au bon vieux temps ? »

OH MON DIEU !!! J’ai cru que j’allais fondre en larmes (de joie) devant tous nos collègues ! Vu son air gêné, je sais que je ne devrais pas, mais je ne peux pas m’empêcher de m’imaginer qu’il va m’avouer que ça ne marche pas avec Flo, qu’il a bien réfléchi et qu’il veut la quitter pour moi, parce qu’il m’a toujours aimée, le tout en me tendant une magnifique bague de fiançailles. Le plus beau jour de ma vie, ça pourrait bien être aujourd’hui !

A dix-huit heures, il vient me chercher dans mon bureau, déjà emmitouflé dans son manteau.

- Prête ?

- Oui ! Laisse-moi juste finir d’écrire ce mail et c’est bon.

Je prends l’air concentré de la fille qui écrit un message hyper important. En fait, ça fait déjà une demi-heure que j’ai arrêté de bosser tellement je n’en peux plus.

Je mets mon manteau et nous quittons le bureau ensemble, comme ça nous arrivait souvent il y a quelques mois, avant qu’il se marie. Il reste silencieux, moi aussi.

Nous prenons place à notre table habituelle au café Lounge, avec sa vue imprenable sur la plage et l’océan. L’été, on s’assoit en terrasse, c’est encore plus agréable. Mais là, malgré le vent hivernal glacial qui s’infiltre par les interstices de la baie vitrée, je suis plus réchauffée que jamais.

Le serveur nous prend la commande. Jérôme demande un café au lait, moi, un expresso. Il se tortille nerveusement sur sa chaise, fuit mon regard, puis me lance un timide « Ca va ? ». Je ne l’ai jamais vu aussi embarrassé.

Je réponds par l’affirmative, un grand sourire aux lèvres. Même si je commence à sérieusement perdre mon optimisme quant à ce qu’il a à me dire.

Le serveur revient avec notre commande. Dès qu’il repart, Jérôme se racle nerveusement la gorge, et commence :

- Ca faisait un moment qu’on n’était pas venu, hein ?

- Oui, c’est clair ! Ca fait plaisir…

- Oui, tu sais, après mon mariage, j’ai préféré prendre des distances avec… certaines personnes que j’apprécie. Les filles, surtout. Enfin… toi, en particulier…

Moment suspendu. Je ne comprends pas où il veut en venir, mais, plus ça va, moins je le sens bien…

Il reprend :

- Ce que je veux dire, c’est que… Myriam, je sais que, pour toi, je ne suis pas qu’un simple collègue avec qui tu t’entends bien.

Donc il sait tout. Je ne réponds rien, et baisse les yeux.

- Je sais très bien que tu n’avais pas mal au dos le jour de mon mariage. J’ai bien vu la façon dont tu me regardes, et c’était déjà comme ça avant que j’épouse Flo, sauf que tu étais moins triste à l’époque. C’est vrai que j’ai toujours été ambigu avec toi… Je veux dire, quand on s’est connu, je sortais déjà avec Flo, mais c’était moins… officiel.

- Je ne comprends pas pourquoi tu me parles de ça maintenant, si ça fait des années que tu le sais.

Je me sens démasquée, toute nue et très vulnérable. L’agressivité est la seule parade que j’ai trouvée à mon malaise.

- J’essaie simplement de t’expliquer pourquoi je suis plus distant avec toi ces temps-ci. Je ne peux plus jouer avec toi, c’est irrespectueux envers Flo et aussi envers toi.

- « Jouer » ? Parce que tu as joué avec moi jusqu’à présent ?

Là, je n’arrive plus à me retenir : deux grosses larmes courent le long de mes joues et viennent s’écraser sur la petite table marbrée. Il se lisse compulsivement les cheveux. Depuis cinq ans qu’on se connaît, le ton de nos conversations n’avait jamais été aussi grave.

- Non, non… Enfin, si, un peu, je pense. Je veux dire : tu es mignonne, sympa, rigolote, intelligente. Bien sûr, tu me plais, et, si je n’avais pas déjà été avec quelqu’un, c’est clair qu’il aurait pu se passer quelque chose entre nous et que ça aurait peut-être marché… Alors, oui, j’ai un peu joué sur le fait que je sentais bien que je te plaisais, parce que ça faisait du bien à mon ego.

Là, j’explose.

- Mais pourquoi tu me dis tout ça, Jérôme ? C’est censé me faire du bien de savoir que, si tu n’étais pas avec Flo, on serait peut-être ensemble ? Et que je t’ai uniquement servi à regonfler ton ego malmené d’homme « casé » ?

Il s’enfonce dans sa chaise, probablement très mal à l’aise de se faire passer un savon par celle qui n’avait jamais élevé la voix devant lui et, qui plus est, devant une dizaine d’autres personnes visiblement très amusées par cette scène.

- Tu veux qu’on parle de sentiments ? Alors parlons-en ! Oui, tu me plais depuis toujours. Je suis tombée amoureuse de toi dès la première fois que je t’ai vu. Et puis on a fait connaissance, et on s’est rapproché. Et plus je te connaissais, plus j’avais la sensation d’avoir devant moi l’homme de mes rêves ! Tu réunis tout ce que j’ai toujours cherché chez un homme. Et je n’en trouve aucun qui t’arrive à la cheville. Et oui, j’ai cru que j’allais mourir quand tu m’as dit que tu avais demandé Flo en mariage. Et je prie tous les jours pour que votre relation ne marche pas, même si je ne crois pas en Dieu, et même si je sais que c’est mal ! Mais, tout ça, tu le sais déjà, apparemment. Alors, je ne comprends pas pourquoi tu me dis tout ça maintenant !

Il prend sa respiration, me regarde droit dans les yeux, et m’annonce :

- Flo est enceinte. On va avoir un bébé.

Je suis soudain prise d’une nausée difficilement contrôlable. Je porte la main à ma bouche et tente de reprendre ma respiration. Je viens de tout lui déballer, de lui avouer ce que je garde au fond de moi depuis cinq ans, tout ça pour qu’il m’annonce qu’il va être papa ! J’ai envie de mourir sur le champ. La vie perd soudain tout son sens à mes yeux car, à cet instant précis, je comprends que je l’ai perdu pour de bon.

- Je ne l’ai encore dit à personne au bureau, je ne voulais pas que tu l’apprennes par quelqu’un d’autre… C’est un accident, et Flo a failli ne pas le garder. Mais j’ai insisté parce qu’être père, c’est vraiment la chose que je souhaite le plus au monde.

Je n’ose même plus le regarder. De toute façon, ma vue est totalement brouillée par un voile de larmes épais et violent comme un torrent. Je me dis qu’elle ne voulait pas de ce bébé, alors que j’aurais donné n’importe quoi pour être la mère des enfants de Jérôme, et ça me fait encore plus mal. Je me dis que la vie est vraiment injuste.

Jérôme me prend la main et me dit :

- Myriam, je suis désolé. Je…

Je retire brusquement ma main prise au piège dans les siennes et lui fais signe de se taire. Puis je me lève et sors du café. J’ai peur d’être seule car des idées noires me viennent. Je marche, le regard vide, dans les rues de Biarritz.

Je suis désormais sûre que je finirai seule, à 70 ans, à parler à Chouquette, mon caniche nain aussi vieux que moi, devant le successeur de Julien Lepers sur France 3. Je mourrai tout aussi seule et Chouquette, affamée et désespérée, en arrivera à me dévorer. Voilà donc mon destin : finir en crotte de chien malodorante. Ma vie est fichue.

 

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9 février 2012 4 09 /02 /février /2012 21:29

Le café du matin au boulot. D’habitude, j’adore ce moment de détente devant la machine à café, avant de commencer la journée. Surtout quand Jérôme est là. Ce matin, d’ailleurs, il est le premier à aller se servir. Je l’aperçois et accélère le pas pour aller à sa rencontre. Mais je fais soudain marche arrière et retourne dare-dare me planquer dans mon bureau. Aurélien l’a rejoint.  Et Aurélien est devenu, depuis samedi matin, l’objet de tous mes problèmes.

Aurélien est étudiant en école de commerce et réalise son stage de fin d’études chez Com’seil. Ca va faire bientôt six mois qu’il est là. Je n’avais jamais vraiment fait attention à ce très discret grand brun à lunettes de 24 ans, et me contentais de le saluer en arrivant et en partant. De toute façon, il semblait très mal à l’aise en ma compagnie, et c’était réciproque, sans que je sache vraiment pourquoi.

Vendredi dernier, Gilbert fêtait son départ à la retraite. Tous les salariés de l’entreprise étaient présents, avec leur conjoint. Jérôme était donc accompagné de Florence, ce qui me désespérait sans aucune mesure, même si l’ambiance entre eux ne semblait pas vraiment au beau fixe… Aurélien se rapprocha de moi alors que je squattais le buffet depuis vingt minutes déjà. Un verre dans une main, un petit four dans l’autre : c’était le seul moyen que j’avais trouvé pour empêcher les larmes qui me grattaient l’œil depuis le début de la soirée de jaillir tel un volcan de haine et de tristesse absolue.

- Je te sers du champagne ? me demanda-t-il gaiement, visiblement déjà un peu éméché.

Je brandis sans hésiter ma coupe vide sous son nez en guise de réponse affirmative.

- Tu n’as pas l’air de t’amuser… me lança-t-il.

- Oh, si si, mentis-je, mais je suis un peu triste que Gilbert nous quitte, c’est tout.

Et, dans l’absolu, c’était un peu vrai. J’aimais bien Gilbert et ses blagues salaces -  mais drôles - pendant la pause déjeuner.

Dix coupes plus tard, tout sentiment négatif avait déserté mon esprit. A vrai dire, je  crois bien que c’est mon esprit qui avait carrément déserté mon cerveau… Je n’avais même pas remarqué que Jérôme était parti. D’ailleurs, tout me monde avait levé le camp, et il ne restait plus que Gilbert et son épouse et Aurélien et moi, bras dessus bras dessous sur la terrasse arrière du bâtiment. On rigolait comme des gamins dans une cour d’école ! Enfin, les bouteilles de champagne vides posées par terre en plus…

- Allez, les jeunes, claironna Gilbert, il est temps d’y aller !

- Déjà ? lançai-je , au bord de la crise d’euphorie aigue. Mais la nuit ne fait que commencer !

- Il est presque minuit, ma belle, me répondit le nouveau retraité. Allez, ouste ! Et à bientôt, j’espère !

Je sautai au cou de Gilbert et le serrai très fort – trop fort, je pense.

- Gilbert, tu vas me manquer… J’ai été heureuse d’être ta collègue pendant toutes ces années. Je t’aime, tu sais.

- Euh… Oui, Myriam, tu vas me manquer toi aussi. Mais lâche-moi, s’il-te-plaît, tu m’étouffes.

Aurélien salua à son tour Gilbert, mais bien plus rapidement. Et nous sortîmes sur le parking.

- Je ne peux pas prendre le volant, bafouillai-je, tout en cherchant maladroitement mon téléphone dans mon sac à mains. Je vais appeler un taxi.

- Tu sais, j’habite à dix minutes à pied, et j’ai un canapé-lit. Tu peux dormir chez moi si tu…

- Ok ! lançai-je sans même le laisser finir sa phrase.

En réalité, je n’attendais que ça…

Nous partîmes donc, tel Toto et Lolo, en chantant des chansons paillardes dans les rues désertes de la ville endormie.

Nous entrâmes dans le studio d’étudiant d’Aurélien – presque aussi grand que mon appartement, ne manquai-je pas de remarquer, malgré mes 10 grammes dans chaque bras. Je m’assis nonchalamment sur la petite table à manger tandis qu’il défaisait le canapé-lit – qui se révélait être, en réalité, le seul et unique couchage de l’appartement. Alors qu’il se débattait toujours avec sa couette, je me levai, titubai jusqu’à lui, posai ma main sur son épaule – ce qui le fit se retourner – et l’embrassai fougueusement. Enfin, aussi fougueusement que possible dans mon état. Nous basculâmes sur le lit et le sol fut bientôt tapissé de nos vêtements respectifs. L’alcool me permis même de ne pas m’attarder trop longtemps sur le fait que je ne m’étais pas épilée le maillot depuis un peu trop longtemps pour une partie de jambe en l’air en bonne et due forme.

Le lendemain matin, l’ambiance était beaucoup moins caliente. Nous osions à peine nous regarder. Etait-ce parce que nous avions pu tester en direct la théorie selon laquelle, en état d’ébriété avancé, une nuit partie pour être torride se termine souvent en flop total, et ce malgré toute la motivation du monde ? Ou était-ce parce que chacun de nous réalisait qu’il aurait dû boire un peu moins, et réfléchir un peu plus ? Je pensais à Jérôme, j’avais l’impression de l’avoir trahi. Et je me sentais nulle, vieille et moche (surtout avec le khôl qui avait coulé au niveau des pommettes et le rouge à lèvres qui s’était étalé sur une surface de cinq centimètres autour de ma bouche) (et ne parlons pas de la coiffure). Aurélien, lui, essayait de me faire la conversation, mais semblait aussi dans ses petits souliers.

Je proposai que cette nuit n’ait pas de suite et reste entre nous, ce qu’Aurélien sembla accepter, mais avec un petit pincement au coeur.  Au fond de moi, j’aurais bien tenté de continuer un peu, histoire de voir où ça aurait pu nous mener. Mais je ne voyais pas d’avenir avec un garçon de six ans plus jeune que moi. Même s’il était mignon, gentil et intelligent. Non, Myriam, pas bien.

En ce lundi matin, je me retrouve donc à essayer d’éviter un garçon que je vais pourtant devoir croiser sans aucun doute à un moment ou à un autre de la journée.

Après tout, peut-être que je pourrais lui donner sa chance ? L’âge a parfois peu d’importance, et Aurélien a l’air mûr dans sa tête… Peut-être que je suis en train de passer à côté de l’Homme de ma vie (après Jérôme, bien entendu) ?

Assise à mon bureau et perdue dans mes pensées troublées, je sursaute quand Michel débarque et ferme la porte derrière lui.

- Salut, Myriam, chuchote-t-il.

- Salut.

- Tu sais que le stage d’Aurélien est bientôt terminé ?

MAIS POURQUOI IL ME PARLE D’AURELIEN ? Tout-à-coup, je suis persuadée que toute la boîte est au courant, et je réponds, livide :

- Euh, non, non, je savais pas. Mais pourquoi tu me demandes ça à moi ?

- On va lui organiser un pot de départ bidon.

- Pourquoi « bidon » ?

- Ben, Jacques va l’embaucher en CDI, mais Aurélien ne le sait pas encore !

Cette nouvelle me fait plaisir pour trois raisons :

1 – Michel ne semble pas au courant de ce qui s’est passé vendredi soir

2-  je suis contente pour Aurélien

3 – je suis contente pour moi, puisque je viens de décider de lui laisser sa chance avec moi.

- Ah, c’est super pour lui ! lançai-je, le plus posément du monde.

- Donc je voulais savoir si tu voulais m’aider à organiser le pot, comme t’es douée en organisation, tout ça…

Comme je suis une femme, surtout… Pfff…

- On fait ça dans quinze jours, continue-t-il. Jusque là, tu lui dis rien pour son CDI, hein ? Y aura tout le monde, et y aura aussi Elise.

- Elise ?

- La sœur de Jérôme. C’est sa copine, ils sortent ensemble depuis deux ans. Même toi, tu savais pas ? C’est Jérôme qui a aidé Aurélien à obtenir un stage ici ! Bon, ils ont pas trop voulu que ça s’ébruite pour pas que ça fasse trop « piston ». Mais bon, comme il va rester, ça va obligatoirement se savoir, alors…

La Terre s’ouvre sous mes pieds et m’avale lentement. Mon impression de tromper Jérôme n’était donc pas si infondée… S’il apprend que j’ai couché avec son beau-frère, je ne sais pas lequel de nous deux il va vouloir tuer en premier… Mais, ce dont je suis sûre, c’est  qu’il va me détester jusqu’à la fin des temps. Alors, c’est décidé : ce soir, je démissionne et je rentre au couvent…

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1 février 2012 3 01 /02 /février /2012 17:55

Vingt heures, un jeudi soir ordinaire. Je contemple mon époux dévorer le plat de lasagnes surgelées que j’ai fait chauffer avec amour. Je suis silencieuse et ne mange pas, mais il ne s’en aperçoit pas de suite. En pleine mastication, la bouche entourée de sauce tomate, il daigne enfin remarquer ma présence et, surtout, mon calme inhabituel.

- Ben, ma puce, ça va pas ? me demande-t-il la bouche pleine, ses grands yeux verts figés dans une expression ahurie, du style « je débarque enfin sur la planète Terre ».

- Si, si, ça va.

Il avale tant bien que les lasagnes qu’il a dans la bouche et insiste, confus :

- T’es sûre ? Tu manges pas, tu dis rien… J’ai fait ou dit quelque chose ?

Mais pourquoi faudrait-il toujours que toutes mes humeurs tournent toujours autour de sa petite personne ? Jérôme a beau être le mari idéal, il n’en reste pas moins un homme dans toute sa splendeur.

- Non, pas du tout, réponds-je, d’un air vague. Je n’ai pas très faim, c’est tout.

Il ne semble pas me croire.

- Et ta journée, demandai-je, histoire de meubler la conversation, ça s’est bien passé ?

- Euh, oui, si on peut dire.  On dirait que Jacques est pris de pulsions meurtrières difficilement contrôlables à chaque fois qu’il me croise, depuis cette histoire avec Petroleum, mais sinon, ça va…

Silence.

- Et toi ? ose-t-il à peine demander.

- La routine… Je suis sortie du boulot tôt ce soir, j’avais rendez-vous avec le docteur Mirre.

- Ah… Et, alors, tout va bien ?

- Oui, oui, tout va bien.

- C’est bien…

L’ambiance est aussi tendue que mon string.

- Tu ne veux pas un peu de fromage ? me demande-t-il, histoire de meubler la conversation.

- Non, merci. Je dois arrêter.

En pleine ouverture du réfrigérateur, il se fige dans son élan et me regarde, de plus en plus décontenancé. Il se reprend soudain, et me lance, d’un ton autoritaire car un peu agacé :

- Bon, Flo, on va se boire un verre, tranquillement, et tu vas me dire ce qui se passe, parce que…

- L’alcool aussi, je dois arrêter, le coupai-je alors.

Il devient livide.

- Les lasagnes aussi, continuai-je, impassible, je dois arrêter, ou, du moins, limiter au maximum. Tout ce qui est gras ou sucré, d’une manière générale. Et finis, nos week-ends à la plage, parce que je ne dois plus m’exposer au soleil entre midi et quatre heures. Et je dois m’acheter des crèmes solaires spéciales… qu’on ne trouve qu’en pharmacie.

- Mais, qu’est-ce que tu as ? implore-t-il en s’approchant de moi. Tu es malade ? C’est grave ?

Il s’accroupit devant moi et me prend la main, au bord des larmes.

- Tu sais ce que c’est comme genre de docteur, le docteur Minne ?

- Euh… Non, je sais pas moi… Un cardiologue ? Un pneumologue ? Un… Mais, arrête de jouer aux devinettes, à la fin !

- Le docteur Minne, c’est ma gynéco depuis des années ! Ca fait huit ans qu’on est ensemble, et tu ne t’en souviens toujours pas !

Au vu de l’expression perdue de son visage, il n’a toujours pas fait la connexion.

- Je suis enceinte.

Il s’illumine. Des larmes commencent à couler, mais je vois bien que ce sont des larmes de joie. Il me prend dans ses bras et me serre très fort, un peu trop fort, même…

- Mais c’est génial ! lance-t-il en relâchant son étreinte. Je vais être papa ! C’est pour quand ? C’est un garçon ou une fille ?

- Je suis enceinte d’un mois, c’est prévu pour juin. Et c’est encore un peu tôt pour connaître le sexe…

Il se lève et se met à arpenter la cuisine de long en large.

- J’y crois pas ! Je suis trop heureux !

Puis il s’interrompt soudain, prenant conscience que je n’ai, pour ma part, pas bougé de ma chaise et que je ne semble pas aussi réjouie que lui.

- Mais, ma puce, ça ne te fait pas plaisir ?

- Je ne sais pas… Je ne suis pas prête… J’ai dû oublier de prendre la pilule le soir de l’anniversaire de Nico et…

- Mais c’est pas grave ! On est mariés, on a une maison à nous, avec deux chambres vides, et puis, c’est la vie ! C’est beau !

- Parle pour toi, criai-je en me levant enfin de ma chaise. C’est pas toi qui ne va pas pouvoir boire d’alcool pendant un an – en comptant l’allaitement – qui va devoir suivre un régime ultra strict pour ne pas pondre un bébé obèse ou malade, qui va devoir te priver de fromage au lait cru, qui va prendre au moins quinze kilos, qui va se taper les hémorroïdes, le mal de dos ! J’ai vingt-neuf ans, merde ! Je suis trop jeune pour arrêter de vivre ! Tu réalises qu’on en prend pour vingt ans, au moins ? Finies les soirées avec les potes, les grasses mat’,  les vacances tranquilles !

Je suis en larmes et mon nez commence à couler. Jérôme me contemple, interdit. 

- Flo, murmure-t-il, ne me dis pas que tu veux… que tu ne veux pas le garder…

- Je n’en sais rien ! C’est trop tôt, je ne sais pas ! J’ai encore du mal à m’occuper correctement de moi-même ; je ne suis pas sûre d’être assez mature pour avoir un enfant…

Je le regarde, guettant la moindre éventuelle étincelle de compréhension dans ses yeux. Mais tout ce que j’y lis, c’est une énorme déception.

- Laisse-moi le temps de m’y faire, lui demandai-je, calmée et esquissant un faux sourire qui se veut rassurant. Je crois que j’ai la trouille, c’est tout. On en reparle demain, d’accord ?

Jérôme, l’air maintenant très en colère, prend quelques secondes avant de répondre :

- D’accord. Demain, on reparlera de notre enfant, dont tu veux te débarrasser, et aussi de la définition d’un mariage éclair, en prenant le nôtre comme exemple.

Et il quitte la cuisine sans même daigner me regarder.

Je suis mal dans ma peau et dans ma tête, je ne sais plus où j’en suis, j’ai besoin de soutien plus que jamais. Et à la place, je récolte une menace de divorce de la part de celui que je pensais pourtant être le mari le plus compréhensif de l’univers.

Je sens que la nuit que je vais passer dans la chambre d’amis va être longue. Vive la vie à deux…

 

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25 janvier 2012 3 25 /01 /janvier /2012 19:01

La main gauche sur le volant et la droite qui cherche frénétiquement le paquet de mouchoirs qui se cache quelque part au fin fond de mon sac à main, posé sur le siège passager… Je n’arrive pas à le trouver et mes larmes naissantes se transforment subitement en torrents de rage incontrôlés. Comme de plus en plus souvent ces derniers mois, je suis partie de la maison le cœur lourd et plus seule et perdue que jamais. Du statut de petite amie, je suis lentement mais sûrement passée à celui de meuble qui brasse  du vent, et qui, accessoirement, fait le ménage et les courses pendant que celui qui est censé partager ma vie et, donc, tous les problèmes et corvées qui vont avec, affiche ouvertement sa relation extra conjugale avec ses barrettes de shit, ses plantations de beuh et ses feuilles à rouler. Son bureau est devenu un vrai fumoir illicite et lui n’est plus que l’ombre de lui-même : les yeux rouges, la tronche défoncée, une vitesse de réflexion et d’élocution proche du coma profond, tout ça 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Bref, Bob Marley, mais le côté groovy en moins… Evidemment, quand j’essaie, d’abord gentiment, puis plus énergiquement, de rappeler à cet homme prénommé Ben que moi aussi j’existe, que j’en ai plus qu’assez de vivre avec un mollusque devenu aussi intéressant que la cuvette de mes toilettes et que ça nous ferait le plus grand bien s’il lâchait ses pétards deux minutes pour revenir dans le monde des vivants et, par conséquent, vivre, ça finit toujours en drame.

- Mais, lâche-moi, s’te plaît ! J’ai eu une grosse journée au boulot et là je me détends. J’ai pas le droit ?

Quand on s’est rencontrés, il y a 6 ans, il n’avait jamais ne serait-ce que fumé une cigarette, et c’était le garçon le plus jovial, le plus vivant et le plus intéressant de la Terre.  Cette saloperie l’a transformé en sale con. 

Et donc, dans 99% des cas, je finis en larmes dans le salon pendant que lui reste le postérieur vissé sur son fauteuil dans le bureau, indifférent à l’état dans lequel il m’a mise. Dans ces moments-là, je le déteste autant que je l’aime. Et ces moments-là surviennent malheureusement de plus en plus souvent.

 

Ce soir-là, comme tous les jeudis soirs, je me rends à mon cours de salsa. Nous nous sommes donc disputés juste avant que je parte, et je ressemble maintenant à un lapin blond avec mes yeux rouge écarlate à force d’avoir pleuré. J’hésite à appeler Myriam, mais je ne veux pas la déranger avec mes problèmes de couple, elle qui souffre tellement de son célibat. Pourtant, elle ne sait pas la chance qu’elle a…

Je me gare devant la salle de cours, me mouche une dernière fois, essaie tant bien que mal d’éponger le maquillage qui a coulé et cours pour ne pas être plus en retard que je ne le suis déjà. Je déboule dans la salle alors que tout le monde est déjà lancé dans la révision de la chorégraphie apprise la semaine dernière.

Manuel, le professeur, vient à ma rencontre.

- Bonsoir, Nelly. Lucien ne viendra pas ce soir, tu vas donc danser avec moi. Ca te va ?

Euh… Comment te dire, Manuel, que je préfère mille fois une heure de corps à corps sensuel avec toi, beau trentenaire musclé, élancé, aux yeux noirs pétillants et à la peau chaude et délicieusement hâlée, qu’avec Lucien, mon partenaire habituel, gentil mais pas trop sexy sexagénaire rondouillet et maladroit ?

Je bafouille un « oui » qui s’apparente plus à un « gloups ». Il me lance alors son plus beau sourire, me prend par la taille et m’entraîne sur la piste.  J’ai l’impression d’être en chewing-gum… Il fait de moi ce qu’il veut, et il le fait très bien. Sa main droite est dans la mienne tandis que sa main gauche se balade au creux de mes hanches, caresse ma taille, glisse le long de mon dos. Lors d’un passage qui se veut beaucoup plus rapproché, chaque centimètre carré de la face avant de notre corps se frotte, s’emboîte, je sens la chaleur de ses muscles et de sa peau, et ma tête se met à tourner.  Il appuie son visage contre mon oreille, et un frisson se met à courir de haut en bas de mon dos.

- Tu n’as pas l’air en forme, me glisse-t-il d’une voix qui se veut très prévenante.

- Ah bon ? Si, si, je vais très bien, pourtant !

Je suis consciente que le ton de ma voix n’est pas très convaincant. Mais j’ai toujours été une mauvaise menteuse, surtout quand c’est l’homme le plus beau que je connaisse qui me pose la question alors que nous sommes en plein corps à corps sur une piste de danse.

Le regard qu’il me lance alors me confirme que je ne dupe personne, en tout cas, pas lui. Mais il ne fait aucun commentaire, et me lâche afin de continuer son cours.

 

Pendant une heure, Ben n’existe plus. Et ma conscience le vit très bien. Mes yeux ne quittent pas Manuel et j’attends avec impatience la fin de ses explications qui sonnent à chaque fois le début des travaux pratiques. D’habitude, je ne touche qu’avec les yeux, alors, pour une fois que je peux me blottir dans ses bras musclés en toute impunité, pas question de m’embarrasser avec de la culpabilité ! Ben ne se sent pas le moins du monde coupable de me délaisser pour  passer son temps à fumer ! Ca fait au moins un mois qu’il ne m’a pas touchée… Alors, j’avoue que le contact physique avec ce bel hidalgo si sensuel me fait un bien fou ! Je me sens femme à nouveau.

 

A la fin du cours, je lance un au revoir général et repars à ma voiture tout en vérifiant mon portable. Myriam m’a demandé de la rappeler. Je m’appuie donc contre ma voiture et me lance dans une conversation de filles, dans laquelle tous les mecs sont des salauds et toutes les filles, des victimes. Un quart d’heure plus tard, alors que nous nous souhaitons mutuellement bon courage et bonne soirée, Manuel sort de la salle et passe devant moi. Il s’arrête et s’avance dangereusement vers moi, incapable de bouger d’un millimètre. Il me fixe intensément, et je me sens de plus en plus mal à l’aise. Je ne peux refreiner un « Qu’est-ce qu’il y a ? » des plus embarrassés.

- Je te regarde, se contente-t-il de répondre.

Là, ça devient complètement irréel : Manuel, mon magnifique prof de salsa depuis six mois, devant lequel je me bave continuellement, auquel il m’arrive même parfois de penser en dehors des cours,  ne serait-il pas en train de me draguer ouvertement ? Moi, pauvre fille au physique si banal, avec ses kilos en trop, son brushing inexistant, et sa maladresse reconnue ?

Je suis envoûtée et hébétée, sans la moindre répartie…

- Je sais que tu as quelqu’un, continue-t-il alors, son regard de lover toujours planté dans le mien, et moi aussi, je suis en couple. Mais bon, c’est dommage…

Dieu existe. Pendant 30 ans, je n’ai pas cru à son existence, mais, à ce moment précis, je sais qu’Il est là, quelque part. Il n’y a pas d’autre explication rationnelle.

- Oui, c’est bien dommage, rétorquai-je, d’un air soudain plus assuré. La vie est injuste…

Je n’arrive pas à croire que je viens de dire ce que j’ai dit… Il s’approche alors de moi, toujours adossée à ma voiture. Ses lèvres frôlent les miennes, avant de déposer un doux, suave, brûlant mais chaste baiser au coin de ma bouche. Il me lance alors un regard de chien battu, avant de s’éloigner sans un mot, me laissant scotchée à la portière de mon véhicule.

Tel un automate, je parviens, au bout de quelques secondes, à prendre place derrière le volant. Je reviens petit à petit à la réalité, et commence à me sentir mal vis-à-vis de ce que je ressens pour cet homme et ce qui a bien failli se passer entre nous. Je sais que je n’aurais pas pu le repousser, et que c’est mal. Il faut que je me focalise sur Ben. C’est avec lui que je vis. C’est lui que j’aime.

Un texto vient me sortir de ma torpeur. Ah, c’est Ben, justement !

« Kes tu fou ? G faim. Tu pe prendr du Mc Do en passan ? »

Oui, pas de doute, c’est bien lui, l’homme de ma vie…

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21 janvier 2012 6 21 /01 /janvier /2012 10:38

Dexter a eu raison de moi… Flo m’avait pourtant averti : elle est venue me chercher deux ou trois fois, me sermonnant qu’il était tard, que je serais crevé le lendemain, que le son – pourtant baissé au minimum syndical – l’empêchait de dormir… Mais c’est ma femme, pas ma mère, après tout ! J’ai tenu bon, et j’ai fini la saison, vers trois heures du matin.  Autant dire que, quand le réveil a sonné quatre heures plus tard, mes paupières ont eu beaucoup de mal à se soulever. Et Flo m’a, bien entendu, fait la gueule, non sans omettre - avant de faire vœu de silence - de me faire remarquer qu’elle avait eu raison, comme d’habitude.

Me voilà donc au boulot  avec une bonne vingtaine de minutes de retard et, pour seule idée fixe, retourner me coucher illico… Il va pourtant bien falloir attendre ce soir avant de retrouver la chaleur et le confort de ma couette… La journée va être longue…

Je n’ai même pas le temps d’allumer mon ordinateur que le directeur en personne, M. Labattu – appelez-le Jacques - déboule dans mon bureau.

- Jérôme, c’est pas le jour d’être à la bourre, aujourd’hui !

- Euh, bonjour, Jacques, bredouillai-je en lui tendant une main qu’il ne me rend pas. Ma voiture n’a pas voulu démarrer, et…

- Tout est prêt ? me demande-t-il, sans prendre le temps d’écouter mon mensonge jusqu’au bout.

Il a l’air à cran, mais ce n’est apparemment pas à cause de mon retard.

- C’est-à-dire ? demandai-je, soudain très inquiet.

Son visage passe du rouge parsemé à l’écarlate intégral et il commence à remonter nerveusement ses chaussettes. Ca sent très très mauvais…

- Ne me dis pas que tu as oublié qu’on a Ranger, le directeur de l’exploitation de chez Petroleum, qui vient aujourd’hui pour qu’on lui présente notre offre d’accompagnement à la mise en service de leurs nouvelles plate-formes au Nigéria ?

………………………………………………………………………………………………………………………………….

Si…

Je suis soudain pris d’une irrépressible envie de décéder sur place, de disparaître à jamais de la surface de la Terre.

- Ca m’était effectivement un peu sorti de la tête, mais j’ai presque fini de rédiger notre offre et…

- Mais tu te fous de moi ! hurle-t-il enfin. Ca fait des mois qu’on rame pour le rencontrer, ce mec ! J’ai presque dû lui lécher le cul pour qu’il accepte enfin un rendez-vous avec nous ! Tu réalises que ça fait six mois que je ne me verse pas de salaire ?

Ah, je ne suis plus le seul à raconter des bobards, ça me rassure. C’est parti pour la minute «mon patron s’appelle Caliméro». Sauf que, cette fois, c’est plus grave, et je commence déjà à réfléchir aux entreprises où je vais pouvoir postuler une fois qu’il m’aura viré sans préavis.

- On est dans la merde, putain ! Ca fait des mois qu’on a la tête sous l’eau ! Et, là, on a enfin une occasion de remonter la pente, et tu oublies le rendez-vous ! Je comptais sur toi, je t’ai fait confiance !

- Jacques, je suis désolé… Je peux arranger ça, je…

- Il arrive dans un quart d’heure, me lance-t-il avec le regard le plus menaçant possible, en plaquant sa main sur mon bureau. T’as intérêt à être prêt.

Puis il sort en claquant la porte, me laissant dans mes petits souliers, debout derrière mon bureau, sous le regard désolé de mes collègues qui ont forcément tout entendu.

Je prendrai le temps d’avoir honte plus tard. Pour l’instant, je dois faire en quinze minutes ce qui me prend en général une bonne demi-journée. Pourvu que Ranger soit en retard…

Malheureusement, Ranger, quinquagénaire collé-monté au regard sévère et à la cravate acérée, est pile à l’heure. Je laisse à Jacques le soin de l’accueillir avec les ronds de jambes qu’il maîtrise si bien, et nous entrons dans la salle de réunion.

Tout le monde est très tendu. Pour ma part, l’épée de Damoclès qui flotte au-dessus de ma tête se fait de plus en plus lourde…

- Jérôme Laforêt, notre consultant spécialisé dans l’Oil and Gas, va vous expliquer la façon dont nous souhaitons vous épauler pour l’ouverture du site de Minia…

Je me lève, en stress total, sous le regard en apparence bienveillant, mais en vérité si assassin de mon directeur.

- Bonjour Monsieur Panger.

- Ranger, Monsieur Ranger… me coupe notre – je l’espère – futur client.

- Euh, pardon, Monsieur Ranger… Tout d’abord, vous m’excuserez mais le vidéoprojecteur est en panne, et je ne pourrai donc vous projeter ma présentation.

Nouveau mensonge… Je n’ai évidemment pas eu le temps ne serait-ce que d’ouvrir Powerpoint…

- Mais je suis sûr, continuai-je, que, malgré tout, vous cernerez très bien notre approche de votre préoccupation. Petroleum s’apprête donc à mettre en service son nouveau champ pétrolier au Nigéria, appelé Minia. Vous recherchez une « épaule » - si je peux me permettre d’employer ce terme - sur laquelle vous appuyer pour mettre en place toutes les procédures, toutes les nouvelles règles nécessaires, tout ceci en concordance avec  la législation locale et…

La réunion se déroule plutôt bien. Ranger a l’air satisfait et prêt à signer de suite, ce que Jacques ne manque pas de remarquer. Nous ressortons de la salle de réunion avec le précieux Sésame en main : l’autographe de Ranger au bas de notre offre, juste à côté de la somme à six chiffres qui la conclut.

Je suis fier de moi : malgré ce très mauvais départ, j’ai réussi à nous sauver la mise ! Je suis vraiment très bon, il faut bien le reconnaître !

Nous saluons comme il se doit notre nouveau client. Jacques a l’air heureux, comme libéré d’un poids énorme. Je suis sûr que mon cafouillage de ce matin est déjà oublié !

- Au revoir, Monsieur Ranger, lui lance-t-il d’un air mielleux, alors que le client est déjà presque à sa voiture. Nous attendons votre proposition concernant la date de notre venue sur Minia ; Jérôme se fera une joie de visiter le Nigéria !

Puis il se tourne vers moi, le visage à nouveau aussi chaleureux qu’un iceberg, et conclut, avant de retourner dans son bureau :

- Et toi, tu peux t’asseoir sur toutes les primes de mission. Et tu voyageras en éco, ça te fera réfléchir à l’inconfort  qui t’attend si tu me refais un coup pareil.

Me mettre définitivement le boss à dos, ça, c’est fait…

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  • : Les nouvelles d'Helene
  • : Les nouvelles d'Hélène, c'est Ma Vie de Rêve, les aventures de Myriam et de son entourage dans la dure réalité de la vraie vie d'adulte, mais ce sont aussi d'autres nouvelles que j'ai écrites ou vais écrire, dans d'autres genres. Bonne lecture !
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